Miss Peregrine & les enfants particuliers
S’il y a bien un réalisateur qui parvient à proposer une œuvre unique dans les arcanes d’Hollywood, c’est bien Tim Burton. Mais depuis sa vision d’Alice au pays des merveilles et un Dark Shadows en demi-teinte pour bon nombre de ses admirateurs, le cinéaste d’Edward aux mains d’argent était bien loin de faire l’unanimité. Après Big Eyes, son biopic des plus recommandable sur Margaret et Walter Keane, il se penche sur l’adaptation des romans de Ransom Riggs. Une histoire à mi-chemin entre fantastique et fantasy avec un concept pour le moins... particulier. Autrement dit, un projet qui sied parfaitement à l’univers «burtonien».
Portrait de famille
D’emblée, le réalisateur renoue avec une patte esthétique reconnaissable entre toutes. Par le biais d’un savoureux mélange entre le merveilleux et le macabre, l’intrigue propose une entame contemporaine; celle-ci reprend les codes de sa vision morne et sans relief d’un quotidien intolérant à la différence. Personnages anticonformistes ou rejetés pour leur asociabilité et leur incapacité à s’intégrer dans la société. Un constat qui concerne bien évidemment Jake et son grand-père. Cet aspect est appuyé par une photographie monochrome à l’arrivée sur l’île. Un choix graphique qui n’est pas sans rappeler le clivage qui divisait les morts et des vivants dans Les noces funèbres.
Non seulement l’univers singulier de Miss Peregrine fait la part belle aux couleurs et à un charme somme toute naturel, mais il propose aussi un voyage dans le temps inattendu. À vrai dire, il s’agit davantage d’une boucle temporelle dans laquelle se répètent les événements d’une journée. Contrairement à Un jour sans fin, les protagonistes n’essayent pas de s’en extirper, mais de se préserver dans cet instant, comme une éternité idéalisée. L’idée des sauts temporels ayant ici vocation à protéger les enfants particuliers du monde extérieur, notamment de l’intolérance des hommes. Le côté exploration desdites boucles s’invite en seconde partie de métrage, mais n’a qu’une fonction pratique pour la bonne progression de l’intrigue.
Il n'est pas nécessaire de garder les pieds sur Terre !
Il n’est donc pas question de se pencher sur les conséquences de pareilles excursions dans différentes époques. D’ailleurs, la majorité de ces voyages voguent vers 1943, en pleine Seconde Guerre mondiale. En cela, le scénario parvient à se jouer des différentes possibilités offertes par les ombrunes en y incorporant quelques éléments perturbateurs. Il en résulte une certaine dynamique qui ne faiblit à aucun moment. Soutenue par l’exposition des protagonistes, de leurs particularités et de leur environnement, la première partie permet au spectateur de se familiariser avec l’univers du livre. Par la suite, la tension monte d’un cran avec des antagonistes qui laissent une impression contradictoire.
Dans le rôle de Monsieur Barron, Samuel L. Jackson est parfaitement représentatif d’une interprétation décalée et pleine d’humour noir associée à des desseins aussi sombres que son âme. Ses acolytes s’en retrouvent quelque peu effacés par sa prestation et ce n’est pas les sépulcreux (invisible de par nature) qui peuvent dire le contraire. À ce titre, ces derniers possèdent de grandes similarités avec le Slender Man, légende urbaine issue d’un mème Internet. Sa silhouette élancée, ses membres démesurément longs, certaines caractéristiques tentaculaires, sans oublier un visage vierge qui dévoile parfois une dentition acérée. Qui plus est, les deux créatures pourchassent également des enfants, leurs proies favorites.
Un oiseau de bon augure...
D’ailleurs, les pouvoirs des enfants s’avèrent très bien exploités, quand bien même certains d’entre eux pourraient se révéler parfaitement inutiles. Tous permettent de faire avancer l’histoire à leur manière, qu’il s’agisse d’une participation anodine ou d’un retournement clef dans les événements. Tout comme Samuel L. Jackson est le parfait méchant, Eva Green survole le film (et ce n’est pas qu’une figure de style) par son charisme et sa présence. Le casting des enfants n’est pas en reste avec de jeunes talents complémentaires et parfaitement accoutumés aux caméras. Au même titre que la richesse visuelle qui émane du métrage, il en ressort un panel d’acteurs hétéroclite et parfaitement intégré dans la trame générale.
Au final, Miss Peregrine & les enfants particuliers marque un retour aux sources pour Tim Burton. Le réalisateur renouant avec une vision du cinéma très personnelle et surtout assumé au regard des commentaires acerbes de ses détracteurs. Il revient également à ses poncifs en exploitant avec habileté ses thématiques de prédilection telles que la différence ou le passage de l’enfance à l’âge adulte. Changement de média oblige, l’adaptation connaît quelques divergences avec les romans, mais l’ensemble demeure fidèle en général; le style «burtonien» se prête particulièrement bien à l’exercice. Il en ressort un film familial à la fois enchanteur, entraînant, parfois enjoué par le ton apporté à certaines séquences.
Un film de Tim Burton
Avec : Eva Green, Asa Butterfield, Samuel L. Jackson, Judi Dench