Looper
Le voyage dans le temps est un thème cher à la science-fiction. Tout comme le fantastique aime à exploiter les vampires ou autres créatures de la nuit, la SF apprécie particulièrement ce sujet en le déclinant à toutes les sauces. Du drame romantique en passant par le thriller faussement avoué ou, bien entendu, en peignant les traits d'un univers futuriste. Si l'on a eu droit à des perles fondatrices, le genre n'est pas épargné par quelques échecs, à tout le moins par de jolis gâchis. En général, la faute incombe soit à un scénario simpliste et fainéant, soit à une mauvaise maîtrise du concept de base. Si Looper n'est pas mauvais, l'on verra qu'il dispose d'un potentiel certain miné par des erreurs maladroites.
Haut les flingues ! Bas les masques !
L'histoire de Looper ne manque pas d'intérêt. L'on se situe en 2044 où des tueurs à gages exécutent des contrats envoyés du futur (30 ans plus tard). La machine semble parfaitement huilée jusqu'à ce que l'un des loopers doit s'exécuter lui-même. S'ensuit alors une chasse à l'homme entre les bas-fonds de la ville et la fuite vers la campagne... Le pitch de départ est à la fois original, intrigant et bien amené. Pour cela, le futur se décrit sous une forme très nihiliste. Nous ne sommes pas au c½ur d'une dystopie, mais plutôt vers la finalité d'un mode de vie éphémère et agonisant. Comprenez que cette époque est similaire à la nôtre dans de nombreux détails. Exception faite de la technologie et d'une criminalité toute puissante, on a l'impression de contempler notre avenir peu flatteur.
En ce sens, Looper s'accapare les codes du film noir avec son univers sombre et son héros désabusé. Là encore, l'approche est surprenante, mais l'on commence à discerner les ficelles qui composeront l'intrigue. Cela permet de considérer le film sur un aspect tortueux et difficile : l'imaginaire côtoyant l'âpreté de l'existence. Difficile de conjuguer la réalité et son pragmatisme avec une extrapolation de ce qui pourrait nous attendre dans quelques décennies. Il faut reconnaître que Rian Johnson, scénariste et metteur en scène, ne manque pas d'ambitions. Malheureusement, la continuité de son ½uvre pâtie d'une structure alambiquée et mal maîtrisée dans sa finalité.
On a beau courir...
En effet, l'on se rend compte que le récit devient vite brouillon, mais pas forcément incompréhensible. La faute incombe à un montage chaotique où se succède les possibilités futures, la trame principale, ce qu'il est advenu de Joe et ce qui ne sera pas ou n'est plus. En d'autres termes, le présent dans sa linéarité, les possibilités qui en découlent, le futur et le présent modifiable et/ou modifié. L'on s'y perd un peu. Malgré une certaine prévisibilité, l'écriture est trop aléatoire pour convaincre. Looper essaye de mixer plusieurs ingrédients du voyage dans le temps (les conséquences de pareille entreprise, les univers parallèles créés…), mais ne parvient à aucun moment à trouver un pied d'ancrage.
L'on songe notamment à L'effet papillon avec quelques astuces en temps réels sympathiques (l'amputation des membres), mais on est loin d'atteindre sa profondeur. À travers cela, l'on distingue certaines invraisemblances, voire incohérences dans le déroulement de l'intrigue. On ne rentrera pas dans les détails pour éviter tout spoiler, mais certaines réactions des personnages sont alambiquées et prolongent inutilement la durée du métrage. Ce qui apparaît évident aux yeux du spectateur ne l'est pas forcément pour ceux-ci, mais cela engrange un manque de finition et, par la même, nuit à la crédibilité de l'ensemble. La complexité supposée dévoile donc des artifices de remplissages malvenus et pas vraiment cohérents.
Les démons du maïs se planqueraient-ils dans le coin ?
Malgré leurs choix, les protagonistes sont d'un intérêt certain. Joe et son double futur (vieux Joe) disposent d'une évolution en dent de scie où la perdition et le désespoir se transforment peu à peu en une quête rédemptrice. Il s'agit du même individu, mais les caractères sont suffisamment dissemblables pour laisser planer le doute. Pour cela, le duo Joseph Gordon-Levitt / Bruce Willis est impeccable dans son affrontement. On regrettera toutefois que la présence de ce dernier soit un peu trop discrète à l'écran étant donné le travail nuancé qu'il a effectué sur son personnage. Loin des caricatures volontaires auxquelles il nous avait habitués, il compose son rôle en multipliant les ambiguïtés sur sa véritable nature. L'on se demande toujours s'il était bon ou mauvais, sans doute un peu des deux.
Pour ce qui est des autres acteurs, l'on oscille entre l'anecdotique (Jeff Daniels), l'acceptable (Emily Blunt) et le surprenant (Pierce Gagnon dans le rôle du jeune Cid). Ce dernier offre une prestation rare pour un enfant de son âge, mais là encore, le récit s'égare dans des chemins tortueux. À l'image des propos dualistes, l'on aurait aimé un traitement appuyé dans ce sens. Le problème étant que le réalisateur hésite constamment à délimiter clairement l'un ou l'autre parti. D'ailleurs, le doute subsiste, et ce, après un dénouement finalement attendu et sans panache.
... le temps finit toujours par nous rattraper.
Au final, Looper est une petite déception. Là où le début posait les bases d'un univers singulier au concept tout aussi avenant, l'on découvre une histoire brouillonne à l'écriture mal maîtrisée et aux accents faussement complexes. Alors que le récit souffre de quelques longueurs (à la limite de l'auteurisant avec des plans fixes de plusieurs minutes ponctuaient par des dialogues inégaux), il est à regretter de voir se multiplier pas mal d'influences pour aboutir à un film maladroit, voire inachevé sur certains aspects. Sans ces défauts, Looper aurait pu prétendre à une meilleure appréciation. Pas forcément louper, mais pas réussi pour autant.
Un film de Rian Johnson
Avec : Joseph Gordon-Levitt, Bruce Willis, Emily Blunt, Piper Perabo