« On nous dit de nous souvenir de l'idée et non de l'homme parce qu'un homme peut échouer. Il peut être arrêté. Il peut être exécuté et tombé dans l'oubli. Alors qu'après 400 ans, une idée peut encore changer le monde. Je connais d'expérience le pouvoir des idées. J'ai vu des hommes tuer en leur nom et mourir en les défendant, mais on ne peut embrasser une idée, on ne peut la toucher ou la serrer contre soi. Les idées ne saignent pas. Elles ne ressentent pas la douleur et elles ne peuvent aimer. » Première ligne de narration qui met en lumière la tentative de Guy Fawkes de faire exploser le palais du parlement en 1605. Un événement largement connu outre-Manche sous le nom de complot (ou conspiration) des poudres.
Le chef d'orchestre entre en scène.
C'est donc avec une brève et néanmoins marquante introduction que V pour vendetta ouvre le bal. Des mots savamment choisis qui illustrent à la fois un contexte difficile pour les catholiques de l'époque, mais surtout qui aborde la notion d'idée et son rapport à l'homme. Cette adaptation du comic éponyme d’Alan Moore et de David Lloyd ne sera pas un blockbuster comme les autres. Il part sur une dimension politique engagée et profonde et n'en sera que plus immersif par la suite. Car là où se serait contenté certains cinéastes de réaliser un produit purement commercial à la fois beau et creux, James McTeigue (dont il s'agit de son premier film) nous entraîne dans un Royaume-Uni totalitaire.
Les difficultés économiques, les épidémies, la violence, l'insécurité ont conduit le pays dans un tourment de peurs et d'angoisses. Dès lors, il n'en fallait pas plus pour voir surgir un extrémiste aux allures de faux messie pour redresser la barre et, au passage, anéantir les libertés civiles à coup de matraque et d'enlèvements. Ce point est certainement le plus fascinant. Si nous sommes projetés dans un avenir proche, le contexte se nourrit des heures sombres du troisième Reich et d'un présent apathique, voire suffisant pour former un futur délétère. En somme, une parfaite dystopie qui interroge à la fois l'histoire, notre quotidien et ce qu'il en découlera. Rares sont les oeuvres à intriquer les trois aspects dans un seul et même univers.
Une coupe de cheveux qui fait table rase du passé.
Pour cela, le cadre occupe une place prépondérante dans cette ambiance hors du commun. Londres respire le despotisme dans ses moindres recoins. Si l'architecture des habitations demeure très contemporaine, on distingue çà et là des détails qui traduisent un changement subtil, mais évident dans les extérieurs. Outre les affiches de propagande (« L'union fait la force - La foi fait l'union »...), on remarquera une multitude de caméras, ainsi que des haut-parleurs sur les poteaux électriques. On ne fait pas ce qu'on veut, on ne le dit pas et surtout, on ne le pense pas. « Big brother is watching you ». L'inspiration de George Orwell est perceptible, mais pas omniprésente.
En ce qui concerne les intérieurs, l'aménagement et les décorations sont très sobres, voire désuète. Tout comme les rues, il n'y a aucune fantaisie, aucune place à la personnalisation ou l'appropriation de sa demeure. Ce contraste est d'autant plus flagrant que la cachette de V se pare d'innombrables oeuvres d'art en tout genre. Sculptures, peintures, mobiliers et livres se côtoient dans un chaos ordonné. Une collection impressionnante qui se faufile dans une ancienne crypte aux arcs voûtés et à la disposition labyrinthique pour symboliser l'étendue des capacités de notre esprit (là où il émane une rectitude étouffante dans les autres lieux : studio de télévision, commissariat, mémorial...). Un joli pied de nez de la production lorsque l'on sait que les studios de Berlin (utilisés pour une majeure partie de la réalisation en intérieur) ont accueilli le tournage des films à propagande nazi.
« L'union fait la force. La foi fait l'union. »
Un refuge atypique pour un personnage qui l'est tout autant. Initialement, il incombait à James Purefoy de se cacher sous le masque de V. A cause de divergences (une explication non confirmée aurait voulu que son timbre de voix ne convienne pas à V), il a quitté le projet en plein tournage. Étant donné que l'on ne voit jamais le visage de V, un contretemps mineur puisque l'excellent Hugo Weaving rejoint l'équipe. Inutile de tergiverser, son interprétation est impeccable en tout point. S'il ne peut communiquer par les expressions du visage, l'acteur compose avec une gestuelle et une intonation appuyées pour conférer au masque de Guy Fawkes une véritable humanité.
Même s'il ne se départit jamais de ce sourire dérangeant, les jeux d'ombres, la position du corps et surtout le talent de l'acteur font un personnage burlesque que ne renierait pas le théâtre. Un paradoxe lorsque l'on comprend quel être torturé se cache sous V. À noter que la version française (doublage de Feodor Atkine) est aussi bonne que l'originale (chose assez rare pour le souligner). Il faut également compter sur un casting cinq étoiles. Une incroyable Natalie Portman dans le rôle d'Evey (la scène de rasage est la plus parlante), un John Hurt habité par la folie ou un Stephen Rea très sobre, un sans-faute.
Un sourire qui laisse présager un joyeux feu d'artifices.
Qui plus est, les lignes de dialogue sont non seulement intelligentes, mais se charge d'une portée à la fois symbolique et philosophique très forte. Chaque réplique est l'occasion de réfléchir à ce qui a été dit (citations ou conversations originales). On ne nous accompagne pas par la main, il faut faire l'effort de décrypter le message derrière la nécessité de s'ériger contre l'oppression. Prise de conscience ou réveil forcé, les habitants sont plongés dans une léthargie auto-entretenue. Une responsabilité commune partagée par un sentiment de confusion et de résilience. Si V est catalogué comme un terroriste aux motivations ambiguës (la vengeance personnelle se mêle à la chute d'un empire dictatoriale), il n'en demeure pas moins le catalyseur d'une révolte en sommeil.
Un meeting politique aux airs de déjà-vu.
Le scénario de V pour vendetta est l'un des plus denses et les plus intelligents de cette dernière décennie. En seulement 132 minutes, le film de James McTeigue réussit l'exploit d'aborder les plus grands problèmes auxquels nous sommes confrontés. Conflits, délinquances, épidémie, pénuries en tout genre, valeurs morales absentes, manipulation des médias et de l'opinion publique par le biais de la propagande, censure, injustice et la liste continue encore et encore. Tout est évoqué avec âpreté et sans complaisance. Une dénonciation forte et engagée sur la peur et l'ignorance des masses (qui ne sont en rien une excuse) pour mettre au pouvoir des êtres mégalomaniaques aux motivations égoïstes et narcissiques. Toute ressemblance avec une période historique récente n'est pas fortuite...
Enfin, quoi de mieux pour conclure que de paraphraser une des nombreuses répliques incisives du film : « Les artistes utilisent les mensonges pour dire la vérité ; les politiciens pour la cacher ».