Slender Man
Considéré comme une légende urbaine montée de toute pièce pour une diffusion virale sur le web, Slender Man est un personnage aussi inquiétant que passionnant. La silhouette humaine élancée, d‘où son patronyme, l’absence de visage renvoyant à un anonymat dans sa forme la plus stricte... Ces caractéristiques sont ancrées dans l’imaginaire collectif sous des noms et des mythes dissemblables. Le fait que ce mème soit particulièrement attiré par les enfants, et leur innocence, possède une résonnance malsaine et dérangeante, car foncièrement réaliste et délétère. Bref, la créature est devenue un personnage emblématique qui préserve sa part de mystères.
La porte ouverte à toutes les âneries...
L’histoire de Slender Man perdure grâce aux internautes et à des témoignages biaisés (et néanmoins bien fichus) avec récits, vidéos et photos truquées à l’appui. Des jeux vidéo et quelques fans-films sont également sortis avec plus ou moins de réussites. Il y a bien Beware the Slenderman, mais celui-ci relate un fait divers. Le mème étant un prétexte et non l’objet principal du documentaire. Aussi, un long-métrage horrifique dans la grande tradition du genre suscite bon nombre d’attentes, sans doute trop. Après de gros problèmes liés à la post-production et à sa classification, notamment à cause de cette affaire criminelle qui impliquait deux filles de 12 ans, Slender Man arrive dans la débâcle.
Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’on ressent le peu de respect fait à la mythologie de base dès les premiers instants. Même si l’on cite que le Slender Man serait la cause de plusieurs disparitions d’enfants, cela ne semble pas interpeller les scénaristes qui mettent sur le devant de la scène des adolescents en passe de passer à l’âge adulte. Premier handicap de taille qui mine considérablement le potentiel par le bas. Cette appropriation purement opportuniste ne se contente pas de prendre des libertés avec le personnage créé par Victor Surge. Elle le dénature sans vergogne.
Someone's always watching me, someone's always there
Et pour combler le manque d’inspiration et de talent flagrant, on s’amuse à mélanger les références pour une exploitation outrancière. La pyjama-party se transforme en un trip à mi-chemin entre une séance de Ouija et The Ring. L’idée de la vidéo visionnée accuse vingt années de retard; tout comme ce qui définit le film de Sylvain White par la suite. Le cinéaste est déjà responsable de l’ignoble Souviens-toi l’été dernier 3 ou de la comédie musicale Steppin’. Cherchez l’erreur... Toujours est-il que l’évolution subit les affres de la vacuité scénaristique en alignant les séquences sans la moindre cohérence ni la plus petite utilité pour une montée progressive des enjeux.
Entre deux jump-scares qui ne surprendront personne (pas même avec le bruitage de fond récurrent), on suit le quotidien impavide de lycéennes avec tous les clichés que cela comprend. Amourette de pacotilles, jalousies et disputes de midinettes se confrontent à un événement surnaturel, lui-même débouchant sur la disparition de l’une d’entre elles. L’inquiétude n’est que de façade, tandis que les comportements restent peu crédibles, voire contradictoires par rapport au déroulement de l’histoire. Le scepticisme ambiant se heurte à des séquences pourtant très explicites qui achèvent les rares efforts consentis pour instaurer un climat empreint d’une folie latente.
C'est ce qui s'appelle perdre la face !
Si le trailer laissait à penser à un traitement glauque et proprement déstabilisant, le montage édulcore le produit par une coupe drastique. Où est passée la scène où Chloé (Jaz Sinclair) se crève les yeux au scalpel en salle de classe? De même, celles avec la jeune fille à la langue tranchée qui sort de la forêt et le suicide sur le toit de l’école sont également oubliées. Et ce ne sont que trois exemples sur à peine deux minutes. Le massacre en règle s’arroge en plus l’irruption inopportune et redondante de visions cauchemardesques dont le clivage avec la réalité ne fait aucun doute. Et même cette idée semble tout droit surgir des Griffes de la nuit.
Les théories sur les créatures «bioélectriques» et les effets de distorsion restent au stade des prétextes traités par-dessus la jambe, démontrant par la même les limites d’une histoire complètement hors-sujet. On peut aussi évoquer les passages dans la forêt qui aurait dû bénéficier de plus d’importance, tout comme les rares sursauts d’orgueil où le Slender Man se confond avec l’environnement. Quant aux silhouettes plongées dans la pénombre qui sont censées suggérer sa présence latente, le procédé est usé même dans les moments les moins pertinents. Nos protagonistes, qui ne collent pas à son apparence, font également l’objet de ce subterfuge grossier.
Il vaut mieux rester cacher dans la forêt
Au final, Slender Man est sûrement ce qui peut se faire de pire en matière de massacre et d’irrespect envers un mythe. Incapable de saisir ce qui définit le Slender Man et l’attrait qui gravite autour de son histoire, le film de Sylvain White se contente de fournir un teen movie sans âme et d’un opportunisme clairement affiché. Dernier affront, l’épilogue se pare d’une narration complaisante qui tente d’expliquer le point de vue (ou plutôt la bévue) auquel on vient d’assister. Et pour bien prendre le spectateur pour un idiot, on nous pose la question très agaçante «Vous comprenez?». Au lieu de faire preuve de rhétorique, il aurait été plus judicieux de se montrer impliqué et passionné.
Un film de Sylvain White
Avec : Joey King, Javier Botet, Jaz Sinclair, Kevin Chapman