Les Yeux sans Visage
C’est à la fin des années 50, une époque où le cinéma d’horreur connaissait un nouveau souffle, notamment grâce aux films de la Hammer en Grande-Bretagne et à ceux de Roger Corman aux Etats-Unis, qu’est sorti Les yeux sans visage, deuxième long-métrage d’un certain Georges Franju. Après avoir réalisé plusieurs courts-métrages documentaires comme en témoigne par exemple Le sang des bêtes - un film choc sur les abattoirs de la ville de Paris - Franju décide de se reconvertir définitivement dans la fiction.
Cette nouvelle direction dans la carrière du réalisateur traduit aussi le fait que le cinéma français de l’époque était très peu porté (voir pas du tout) sur le cinéma d’horreur. Face à la déferlante de films étrangers de ce genre, Franju a l’ambition de confectionner une œuvre de qualité ayant le potentiel de rivaliser avec celles des cadors de l’époque. Un an après son premier long-métrage, La tête contre les murs, un film se déroulant dans un asile psychiatrique, le cinéaste tourna ce qui deviendra son film le plus célèbre.
C’est en 1960, même année que Pyscho, que sort Les yeux sans visages. Comme le classique d’Alfred Hitchcock, c’est un film sombre et cruel, tourné en noir et blanc avec un manoir isolé en toile de fond, celui des Yeux sans visages étant jumelé à une clinique et non à un motel. Malgré ces quelques ressemblances fortuites, le film de Franju est l’adaptation d’un roman paru l’année précédente. C’est plus avec le Dr. Frankenstein que le personnage principal de cette histoire entretient des points communs : le Pr. Génessier est un célèbre chirurgien, reconnu pour ses recherches sur les transplantations et les greffes. Il provoque malgré lui un accident à l’issu duquel sa fille Christiane est totalement défigurée. Rongé par la culpabilité et déterminé à user de tous les moyens nécessaires pour remédier à cette tragédie, le professeur entreprend de lui redonner un visage grâce à une greffe faciale.
L'inquiétante demeure du professeur Génessier
Avec la complicité de son assistante, une femme ayant bénéficié de ses talents, le chirurgien enlève des jeunes femmes ressemblant à Christiane. Il commence par tuer et défigurer une innocente afin de simuler la mort de sa fille. A partir de là, il peut s’adonner tranquillement à ses expériences sans que personne ne se doute du malheur dont est victime Christiane, captive et recluse dans le manoir. L’assistante complice se charge d’amadouer des proies susceptibles de servir de matière première pour la greffe. Elle les attire dans la demeure du professeur dont les sous-sols abritent un laboratoire secret.
La pauvre fille ne sait pas ce qui l'attend
Ce qui peut rappeler les méfaits de Frankenstein est ici mit en scène dans un contexte un peu plus glamour, celui de l’amour d’un père pour sa fille, bien que tout aussi malsain. Si le savant-fou de Mary Shelley fabrique un individu de toute pièce à partir de cadavres et qu’il parvient à l’animer, le Pr. Génessier veut simplement redonner une belle apparence à celle qu’il a malencontreusement défigurée. Les yeux sans visage n’est donc pas purement fantastique comme l’est Frankenstein. Néanmoins, le contexte scientifique des opérations est dépassé par l’inhumanité du chirurgien sans scrupules, au point de rendre si glauque l’atmosphère entourant cette histoire, qu’elle en devient irréelle. Le masque blanc et la longue robe que porte la fille du professeur lui donne des allures spectrales qui accentuent l’aspect fantastique du film. Errant dans les couloirs du manoir, elle trouve refuge auprès des animaux dont son père se sert comme cobayes. Sans nouvelles de son fiancé, employé du professeur dans sa clinique et ignorant tout de la situation, Christiane perd progressivement foi dans la démarche de son père. Voyant les victimes s’accumuler et les greffes échouer, elle finit par se retourner contre lui en libérant les chiens qui se chargent de lui régler son compte. Elle s’évade vers les bois obscurs qui bordent le manoir, entourée par les animaux qu’elle a libérée, telle une force surnaturelle symbolisant l’innocence de la vie naissante opposée à l’entreprise mortifère de son père.
La fantomatique Christiane lors de ses errances dans les sous-sols du manoir
La mise en scène de Georges Franju est d’une maîtrise remarquable et le travail apporté à l’image lui donne une saveur poétique indéniable. Le récit est très bien construit et l’immersion dans ce conte macabre est une expérience fascinante. Le moment fort du film réside dans la scène de l’opération chirurgicale, désormais culte. Jouant habilement entre la suggestion et la représentation directe, le découpage de la peau du visage paraît toujours aussi réaliste plus de cinquante ans après. Le maquillage est de très bonne facture et l’effet créé est saisissant. C’est une des premières scènes gores de l’histoire du cinéma. Plus explicite que celle de la douche dans Psycho et avant que Herschell Gordon Lewis établisse, avec beaucoup moins de talent, cette tendance au cinéma avec Blood Feast quelques années plus tard.
Ames sensibles s'abstenir
La relation morbide qui lie le machiavélique chirurgien joué par l’imposant Pierre Brasseur avec sa fille fantomatique incarnée par Edith Scob, fait des Yeux sans visage un film unique dans l’histoire du cinéma français. La poésie macabre qui caractérise l’esthétique développé par Franju n’a malheureusement pas trouvé d’héritier digne de ce nom dans le paysage cinématographique hexagonal. Aujourd’hui encore, Les yeux sans visage reste un des meilleurs films d’horreur qu’est connu le cinéma français.
Le visage sans yeux!
Un film de Georges Franju
Avec : Pierre Brasseur, Alida Valli, Juliette Mayniel, Édith Scob