The Strangers
Comme l’attestent Old Boy, Memories of Murder ou J’ai rencontré le diable, le cinéma coréen est réputé pour ses polars de grande qualité. D’ailleurs, Hong-Jin Na a déjà fourni deux efforts incontournables en la matière avec The Chaser et The Murderer. Après six années d’absence, le réalisateur revient avec ce qui s’annonce comme un thriller du même acabit: The Strangers. Derrière un titre aussi vague qu’énigmatique, ce nouveau métrage ne se contente pas de réitérer les fondamentaux du genre. Il les exploite dans un cadre différent et nullement restreint par des codes narratifs classiques. Ce qui s’avance comme une enquête somme toute conventionnelle recèle autant de surprises que de tension...
J'ai rencontré le diable ?
À l’instar de ses précédents films, la progression se montre contemplative et méticuleuse dans l’exposition des faits. Le cinéaste est un conteur né qui aime prendre son temps pour raconter ses histoires. En l’occurrence, le développement s’axe sur une introduction qui favorise la présentation des protagonistes. Le contexte, lui, s’attache à dépeindre une ambiance désenchantée dans une petite bourgade coréenne où la banalité côtoie un quotidien routinier. Et c’est dans l’émergence des meurtres que les habitudes vont être ébranlées. On assiste à des investigations policières soignées et passionnantes. Celles-ci tiennent lieu de repères pour comprendre le mobile et étayer des pistes viables.
Dès lors, une curieuse épidémie de folie touche les habitants. Est-ce en relation avec les crimes ? Quelle est la nature de cette hystérie collective ? Le mystère est évoqué, les explications suggérées, mais jamais explicites. On ne parlera pas d’une volonté à flouer la véritable teneur de l’histoire, mais d’une approche beaucoup plus nuancée qui préfère laisser libre cours à l’interprétation du spectateur. De fait, les révélations avancées ne seront jamais catégoriques. Prononcées à demi-mot, celles-ci laissent planer une aura de mystères et de mysticisme dans le sillage de l’enquête. En somme, le récit joue davantage sur une manipulation de la perception des faits et, par extension, de la réalité présentée.
Le chaman coréen en pleine séance d'exorcisme...
Car, progressivement, le spectateur sombre dans le fantastique, voire l’horreur. Cela passe par une exploration du folklore local avec tout ce qu’il recèle en matière de mythes et de superstitions. Fantômes, possessions démoniaques, chamanisme, sorcellerie... Outre un étalage exhaustif, on remarquera un syncrétisme à peine voilé avec le christianisme. La présence d’un diacre, la citation en début de métrage, ainsi que d’autres allusions concourent à mieux nous déstabiliser. Le résultat est probant tant on se retrouve partagé entre le réflexe de rationaliser et celui de se laisser porter par des événements sibyllins difficilement discutables. En cela, l’empathie avec les protagonistes est totale.
Preuve en est avec la traque du Japonais à travers la forêt, les rituels pratiqués ou encore le modus operandi du criminel. Certes, le cinéma asiatique aime à brouiller la frontière entre le paranormal et le réel, mais peu de metteurs en scène réussissent à un tel résultat. A fortiori quand on privilégie la sobriété à l’esbroufe. Cette façon de procédé trouve son point d’orgue dans un dénouement d’une rare ambiguïté. Le travail effectué en amont sur la perception du récit parvient à une conclusion qui traduit toute la complexité du scénario. Là encore, on ne décèlera pas forcément de réponses limpides et formelles, mais un chapelet de suggestions à même de confirmer ou d’infirmer certaines hypothèses.
Personne n'en sortira indemne...
Au final, The Strangers est un thriller horrifique aux ramifications tentaculaires. Nanti d’une trame élaborée et ensorcelante, le film de Hong-Jin Na est une démonstration magistrale en matière de mise en scène et de narration. En suivant un cheminement patient, l’intrigue ne cesse de nous étonner dans son évolution et sa manière de triturer les fils de la réalité. Il en résulte une lecture à plusieurs niveaux qui trouve autant d’explications rationnelles que surnaturelles. Et c’est cette absence de dogmatisme, tant dans les questions de croyance que dans l’appropriation de l’histoire, qui contribue à préserver tout le mystère qui entoure The Strangers. Un film original d’une qualité rare.