Manifest
À bien des égards, le format de la série permet de développer des intrigues tortueuses où le suspense est de rigueur pour maintenir l’attention et l’intérêt du spectateur. En cela, les années2000 ont parfaitement assimilé ce potentiel avec des productions qui ont changé le paysage télévisuel contemporain. On songe à 24 heures chrono ou, pour rester dans le domaine de l’aéronautique, Lost, les disparus. D’ailleurs, on a très vite comparé cette dernière à Manifest. Un rapprochement biaisé qui se résume uniquement à une catastrophe aérienne et à cet aspect surnaturel qui plane au-dessus des protagonistes et de leur quotidien. De quoi susciter l’intérêt, du moins dans les premiers épisodes...
En réalité, le pitch initial n’est pas sans rappeler Les 4 400 où des personnes portées disparues ressurgissaient inopinément. Ici, le principe est similaire, mais à l’échelle d’un vol qui compte près de 200 passagers. On ne va pourtant pas suivre chaque individu touché par cet improbable voyage dans le temps. L’histoire se concentre sur une famille séparée dont le retour des «survivants» est plus difficile qu’inespéré. Le premier tiers de la série se montre intrigant en s’interrogeant sur ce qui a bien pu provoquer ce bond en avant de cinq années, tandis qu’aucun protagoniste ne s’est rendu compte d’un quelconque changement; exception faite de violentes turbulences.
En cela, on comprend ce besoin de poser des bases et d’évoquer certaines pistes de réflexion. Les aptitudes de précognition et de télépathie sont largement mises en avant. Pourtant, il persiste des problèmes de taille pour que le scénario convainque véritablement. Son plus gros écueil n’est autre que cette propension (complaisance?) à susciter davantage d’interrogations plutôt que de répondre aux précédents mystères avancés. Le schéma narratif s’appuie sur un concept fallacieux où chaque retournement de situation, chaque questionnement, provoque de la perplexité au lieu de fournir des révélations, même minimalistes.
Lorsqu’il s’agit d’éléments épars, le procédé n’est en rien rebutant. Seulement, il se produit sur l’ensemble de la saison! De fait, le fil rouge se perd dans de trop nombreuses conjectures où l’on évoque tout et n’importe quoi. Complot gouvernemental, expérience scientifique et, en filigrane, une présence «extérieure» dont la nature et la provenance n’est jamais établie. À force de multiplier les embranchements narratifs, on finit par en délaisser les précédents, rendant l’évolution aussi brouillonne que frustrante. Rarement, une série s’est montrée autant avare à expliquer le cœur de son mystère.
On peut également regretter que la tournure des épisodes ne prenne pas une direction clairement définie. Certaines péripéties ne présentent aucun intérêt dans leur finalité, tandis que d’autres sont alambiquées et font office de remplissage. En résumé, on ne peut s’empêcher de penser «Tout ça pour ça?» lors des dénouements. De même, on peut déplorer un manque d’émotions flagrant. Les personnages n’ont aucune consistance et certaines réactions sont aussi improbables qu’incompréhensibles. Là encore, on tente de complexifier des propos beaucoup trop simplistes et manichéens afin de «densifier» un récit lisse et (presque) sans identité.
Au final, Manifest est une série qui agace plus qu’elle n’interpelle. Si l’idée de base reste plaisante, elle ne satisfait à aucun moment les attentes du spectateur. La faute à une prolifération incontrôlée d’interrogations qui prend le pas sur des réponses légitimement attendues. À la manière de The Event, les pérégrinations des protagonistes sont confuses et semblent partir dans tous les sens, sauf dans la bonne direction. L’errance narrative n’a d’autre but que de balader un public, sans se soucier de le frustrer. Les mécanismes propres au suspense ont beau être présents, ils n’offrent aucun aboutissement ni satisfaction dans ce qu’ils sont censés amener. Il en ressort une manipulation par le vide scénaristique des plus accablante.
Un film de Paul Holahan, Dean White, Craig Zisk
Avec : Melissa Roxburgh, Josh Dallas, Athena Karkanis, J.R. Ramirez