No Dormirás
Huit ans après un premier long métrage remarqué pour son côté novateur (The Silent House, constitué d’un long plan-séquence d’1h20, qui a eu droit à son remake US), le réalisateur uruguayen Gustavo Hernández replonge dans le cinéma de genre avec No Dormirás, un thriller bien plus psychologique que ce que laissait présager son accroche et son concept de base.
La circonspection (x2)
1984. Dans un hôpital psychiatrique abandonné, une compagnie théâtrale menée de main de maître par Alma, expérimente une technique extrême de jeu. En privant ses comédiens de sommeil, Alma prétend les préparer à donner le meilleur d’eux-mêmes. Au fur et à mesure des jours d’insomnie, les acteurs ressentent des choses de plus en plus étranges. Bianca, jeune actrice en compétition pour le rôle principal, tente de percer les secrets de cet étrange endroit et devient bientôt l’objet de forces inconnues…
Que ne ferait-on pas par amour de l’art ?
Coproduit entre l’Uruguay, l’Espagne et l’Argentine, le film marquera certainement moins les esprits que The Silent House (même s’il est plus réussi), la faute à plusieurs défauts/maladresses qui seront détaillés plus loin et qui ont tendance à gâcher le plaisir d’un film dont l’entrée en matière est pourtant très réussie : une scène étrange dans laquelle une femme se brosse compulsivement les cheveux au milieu d’une demi-douzaine de chats pendus (avouez, vous êtes intrigué !).
Le film est-il pour autant raté ? Que nenni ! L’effort de Gustavo Hernández mérite en effet le coup d’œil pour ce qu’il tente d’original et pour le fantastique décor de l’hôpital abandonné, magnifiquement mis en valeur par une photographie de toute beauté.
Come on baby, light my fire
Ce qui étonne en premier lieu dans No Dormirás, c’est qu’il s’agit du genre de film dans lequel l’ambiance prime sur tout le reste. Si vous êtes allergique aux films qui prennent le temps de poser leur atmosphère et leur intrigue au détriment des jump-scares, vous pouvez arrêter ici la lecture de cette critique et considérer que No Dormirás n’est pas fait pour vous. Vous vous épargnerez ainsi 1h40 de souffrance. Car le film mise avant tout sur son histoire originale, à base de théâtre et de manque de sommeil, plutôt que sur l’épouvante à tout va, et il faut admettre que c’est plutôt osé tant le concept s’offrait un boulevard propice aux sursauts en tous genres.
Au lieu de ça, il préfère s’engager sur de petites routes chaotiques afin de prendre le spectateur à revers. Pari gagné ? Oui et non. Parce qu’à force de vouloir jouer au plus malin, le film finit par se prendre les pieds dans son intrigue lors d’un final à la fois attendu et alambiqué, ce qui le rend peu crédible.
Heureusement, la tension reste assez soutenue tout du long pour maintenir le spectateur en haleine.
On ne le dira jamais assez, mais le théâtre rapproche les gens
Entre rêve et réalité, le film observe son héroïne principale tandis qu’elle évolue dans les angoisses de l’insomnie, ne sachant plus trop si elle doit faire confiance à ses sens. No Dormirás prend donc un malin plaisir à désorienter autant ses personnages que le spectateur, ce qui est au final assez réjouissant.
Le casting s’avère un poil décevant. Pour une actrice devant incarner une autre actrice, Eva de Dominici est un peu trop sage et manque de « folie », alors que son personnage évolue sur la corde raide et devient de plus en plus à fleur de peau. Même remarque pour sa comparse Natalia de Molina, qui traverse le film sans dégager beaucoup d’émotion. En revanche, Belén Rueda (vue entre autres dans l’Orphelinat et Julia’s Eyes) est excellente en metteuse en scène tyrannique prête à tout pour tirer la quintessence de ses acteurs. Elle phagocyte littéralement l’écran lorsqu’elle y est et constitue l’un des gros atouts du film.
Une bougie et au lit (ou pas)
Bref, vous l’aurez compris, malgré de bonnes idées et intentions, No Dormirás loupe le coche de peu. Ses qualités ne sont pas exploitées à fond et c’est dommage dans le sens où ses scènes de tension sont vraiment réussies, tout comme son esthétique. La multiplication des révélations finales est en outre un peu exagérée et nuit à la crédibilité de l’ensemble, tout en ne suscitant qu’un haussement d’épaule entendu chez les habitués du genre, qui avaient vu venir le(s) twist(s) à des kilomètres. Reste que le fond du film est intéressant avec son questionnement constant sur le degré d’implication qu’un acteur est prêt à accepter pour rendre son rôle crédible et que son atmosphère en fait un objet fascinant.
Un film must see ? Sans doute pas. Juste un film assez réussi pour retenir l’attention et c’est déjà pas mal.
Un film de Gustavo Hernández
Avec : Eva De Dominici, Natalia de Molina, Belén Rueda