Insensibles
Le film s'est ainsi vu peu distribué dans les salles obscures en France, et sa sortie s'est faite plutôt discrète. Mais l'arrivée du DVD dans les bacs permet à un bon nombre de fans de compenser ce manque de tolérance et d'ouverture de la part des distributeurs qui préfèrent largement nous gratifier d'un insupportable Paranormal Activity 4. Alors le film de Juan Carlos Medina est-il bon et les amateurs d'horreur sont-ils passés à côté de quelque chose ? Allons faire un tour dans les Pyrénées côté Espagne !
Ras le cul de tenir la chandelle !
Bien évidemment, quand on en arrive là, on se demande comment les deux axes peuvent se rejoindre ! Et pourtant, avec un procédé très efficace de va et vient, le réalisateur va nous faire comprendre les découvertes du héros, mais il va ancrer un aspect horrifique dans un contexte historique violent et douloureux. Si cela s'avère casse gueule, Juan Carlos Medina s'en sort à merveille, ne trompant jamais le spectateur et l'intriguant encore plus sur le sujet du film.
Ce qui fait la force de ce film, outre un scénario bien mené et très intéressant, c'est sans conteste son ambiance ou plutôt ses deux ambiances. Nous avons d'un côté un aspect historique dont les teintes jaunâtres rappellent bien sûr la belle époque, mais donnent comme un sentiment de malaise et de maladie. D'ailleurs, c'est très intelligent de la part du réalisateur puisqu'il y est question de l'insensibilité des enfants. La violence historique comme la seconde guerre mondiale, puis la guerre civile et la chasse aux communistes est accrue par cette ambiance un peu lancinante et on va vite comprendre l'enfermement de cet enfant brimé qui ne demandait qu'à être compris et aimer. Cet effet est contrebalancé par la période moderne et l'enquête de David.
Les tons sont gris et plutôt clairs, donnant un aspect médical et aseptisé de notre société. Grâce à ce procédé, le réalisateur n'a pas besoin d'entrecouper ses scènes de dates et le spectateur comprend rapidement de lui-même les changements d'époque. Il n'y a qu'à la fin, montrant la montée en puissance du monstre que devient ce pauvre enfant qui est annoté en date, montrant ainsi que tous les quatre ans, un drame violent et une guerre éclatant. Au final, l'alternance entre l'ambiance lancinante historique et aseptisée moderne donne une autre dimension au film, touchant des points différents de nos émotions et cela est très intéressant. Certaines images sont d'ailleurs très fortes, comme la poigne du bébé, décidant le père dans son enquête ou encore le lien affectif entre les deux enfants insensibles et l'infirmière qui les aime vraiment. On retrouve un peu de Labyrinthe de Pan sans l'aspect fantastique.
On refait la scène, le petit derrière à droite regarde la caméra !
Mais le personnage central, l'homme cherchant sa vraie famille est très bon aussi, donnant vraiment un aspect tragique et dramatique à l'histoire. Alex Brendemühl est épatant dans ce rôle, notamment grâce à son regard profond et à sa dureté d'expression. On applaudira aussi Derek de Lint, déjà vu dans Black Book de Verhoeven (un chef d'½uvre), qui incarne ici un professeur allemand juif qui va tenter de sauver et d'éduquer ces pauvres enfants. Bien entendu, les rôles secondaires sont très bons, notamment les personnages historiques, de la jeune femme communiste au destin funeste aux terribles personnages menant la guerre contre les communistes. On pourra noter un sans faute, jusque dans la scène d'introduction, d'une violence et d'une innocence inouïe !
Alors il est assez difficile de classer Insensibles. S'agit-il d'un film d'horreur quand on voit la déviance de l'enfant et son devenir ? S'agit-il d'un thriller avec l'enquête menée par le neurochirurgien ? S'agit-il d'un film dramatique avec les expériences menées sur les enfants et le passé du médecin ? Ce film, c'est un peu tout ça à la fois et ce n'est pas plus mal. Dénonçant sans vergogne les dérives des expériences médicales, mais aussi des croyances publics bien loin des sciences. Dénonçant aussi les régimes totalitaires, faisant fi de l'innocence de la jeunesse et la destruction de la personne. Dénonçant enfin les cachotteries horribles qui peuvent détruire des années plus tard, le film n'est pas innocent et montre toutes les dérives de l'humanité et les laissés pour compte à cause d'une particularité physique.
On retrouve un peu de Blindness, où tous les aveugles se retrouvent parqués dans des bâtiments insalubres jusqu'à leur rébellion. Le film n'oublie pas aussi les passages gores, comme cette séance d'arrachage d'ongles, ou l'opération du chien à vif, mais cela n'est pas là pour faire bien, cela montre juste l'incompréhension des incultes face à l'inconnu et l'innocence des enfants face à cette inconnue (ici la sensation de douleur), montrant ainsi la différence de perception entre un adulte et un enfant. Le final est un peu lancé à la va-vite, mais il reste dans cette ambiance mélancolique et dure.
Un film de Juan Carlos Medina
Avec : Derek de Lint, Irene Montalà, Juan Diego, Àlex Brendemühl