Edge of Sanity
Travaillant sur une solution anesthésique révolutionnaire, le Docteur Henry Jekyll absorbe par accident cette substance. Agissant sur lui comme une drogue, cette poudre va le transformer en un être marginal, plus fort et plus violent : Jack Hyde.
Paru en 1886, le court roman de Robert Louis Stevenson, L'Etrange Cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde, a inspiré bon nombre de réalisateurs depuis le début du XX ème siècle. La plupart du temps, des approches manichéennes opposent totalement les deux facettes du héros. Pourtant, Stevenson n'exclut jamais une parenté trouble unissant le créateur et son démon intérieur dans un cadre psychanalytique que n'aurait pas renié Freud.
C'est cette relation ambiguë qui marque le point de départ de cette relecture de 1989. Handicapé par un drame survenu durant sa jeunesse (un acte de voyeurisme coupable qui le hantera toute sa vie), le Docteur Jekyll ne semble subsister que pour ses travaux. Négligeant son adorable épouse, il enfouit en lui des désirs malsains qui constitueront l'unique obsession de Hyde.
Absorbé par le rôle phare de Norman Bates dans la saga Psychose, Anthony Perkins ne trouvera que trop rarement des rôles à la (dé)mesure de son talent. Affaibli par le sida, qui le tuera quelques années plus tard, Perkins est de loin l'attrait principal de cette version. Promenant sa silhouette famélique dans les rues les plus malfamées de Londres, il arpente les bordels où sa sinistre figure, tour à tour verdâtre oublafarde, inspecte ses futures partenaires de jeu. En trouvant une prostituée ressemblant à son fantasme d'adolescent, Hyde versera alors dans la luxure, la dépravation et le meurtre.
Cet Edge of Sanity diffère finalement de plusieurs manières des précédentes adaptations.
Tout d'abord, en ne dissociant guère l'aspect physique du héros et de son double maléfique. Un maquillage, alternant entre un blanc diaphane et un vert cadavérique, constitue la seule divergence entre les deux protagonistes. Une occasion en or laissée entre les mains d'un Perkins effrayant à souhait dans le rôle de Hyde. Epaulé par de bons jeux de lumière, il promène un regard glacial sur ses futures victimes.
Ensuite, en présentant sans fard les vices de Hyde. Junkie adepte de jeux BDSM, il bénéficie là du passé sulfureux de son réalisateur, Gerard Kikoïne. Débutant sa carrière dans les années 70 dans le milieu porno, le cinéaste français se "racheta une conscience" dans les années 80 en alternant entre bons films érotiques (Lady Libertine), séries TV et deux films d'épouvante en fin de carrière. A l'aise dans les scènes érotiques et la photographie (on appréciera notamment son immersion dans le Londres des bas quartiers), il peine néanmoins dans la direction d'acteurs badauds, les fades et vulgaires dialogues n'arrangeant rien.
Enfin, en reliant le mythe de Jekyll et Hyde à celui de Jack l'Eventreur. Dès lors, on appréciera de renouer avec l'ambiance nocturne de Whitechapel, plutôt bien restituée. Même si cette affiliation semble quelque peu facile, l'occasion est pourtant belle d'associer ces deux fascinantes histoires (par ailleurs superbement illustrées par David Wickes pour la télévision, entre 1988 et 1990).
Se démarquant de l'oeuvre de Stevenson et de la majorité des autres adaptations dans un final politiquement incorrect, cet Edge of Sanity s'avère être un détournement intéressant du célèbre roman. Fortement axée sur les déviances lubriques de Hyde, cette série B n'évite pas les excès et les séquences volontiers racoleuses. Cependant, l'interprétation complexe du regretté Anthony Perkins mérite à elle seule le coup d'oeil !
Un film de Gérard Kikoïne
Avec : Anthony Perkins, Glynis Barber, Sarah Maur Thorp, David Lodge