Carnival Row
Lorsqu’on évoque la fantasy, le genre est synonyme de merveilleux. Certes, ce n’est pas une constance, surtout si l’on se penche sur les récits de dark fantasy. Cependant, il est difficile de ne pas associer l’imaginaire avec cette magie prégnante et cette sensation dépaysante aux confluences multiculturelles ; qu’elles soient fictives ou réelles. Tout l’enjeu tient notamment à s’éloigner sciemment de notre monde, même si le fait de dépeindre un idéal n’est pas immuable. Avec Carnival Row, l’approche est beaucoup plus nuancée, car le concept souhaite entremêler des repères propres à notre monde et des allusions historiques dans une atmosphère fantasmagorique.
Il n’est pas question de proposer une réalité alternative, mais bel et bien d’ancrer l’intrigue dans une temporalité qui nous est totalement étrangère. Cependant, l’ambiance générale et plus particulièrement la ville de Burgue se parent d’influences victoriennes. Cela tient à l’architecture de la ville, sorte de Londres fantasmée, au climat crasseux de ses rues ou à l’agencement de ses quartiers où l’aristocratie s’écarte de la misère et des endroits malfamés. En cela, la création de cette mégalopole tentaculaire est une véritable réussite puisqu’elle fait preuve de cohérence dans la présentation et l’exploration des lieux.
L’irruption de crimes et l’impuissance toute mesurée de la police rappellent d’ailleurs la fin du XIXe siècle et les assassinats qui ont miné la capitale britannique. On songe à Jack l’Éventreur, ainsi qu’à l’affaire des torses de la Tamise. Les investigations sont également bien menées, même si elles s’octroient quelques raccourcis faciles sur fond de prescience médiumnique et autres rituels destinés à entrevoir l’envers du décor ou, en l’occurrence, des meurtres. Mais ce qui s’avance comme le cœur de la narration tend rapidement à s’effacer au profit d’un contexte dépeint avec soin et rigueur. Celui-ci tient notamment à présenter la difficile (impossible ?) cohabitation entre humains et créatures féériques.
Intolérance, refus de la différence, pauvreté… Ces dernières sont cantonnées à des emplois subalternes quand elles ne sont pas conspuées, harcelées ou dénigrées. Dès lors, il est facile de faire un rapprochement entre leur situation et celle des migrants. Le regard d’autrui les dépersonnalise pour ne laisser qu’entrevoir leur dissemblance et leur statut au sein de la société : celui d’étrangers, boucs émissaires des maux sociaux. En cela, Carnival Row présente un discours particulièrement juste et intéressant à appréhender, y compris en ce qui concerne la montée latente des extrémismes. Pour les humains, la dimension politique est évidente. Pour les êtres féériques, il s’agit d’une crise spirituelle ou religieuse.
Au fil des épisodes, on dénote une certaine propension à faire s’entrechoquer des valeurs aux antipodes, des protagonistes aux caractères dissemblables. Le design des fées va également en ce sens avec une approche qui relève autant de l’hybridation des espèces que de l’anthropomorphisme. Le résultat est déconcertant tant il se veut « naturel » dans le rendu. Les effets spéciaux viennent parfaire l’illusion, même si certaines séquences et idées de mise en scène ternissent un constat flatteur par leur artificialité. Bien que rare, le vol des fées en milieu urbain tient plus d’une séance de parkour et ne prodigue aucune réelle sensation de libertés.
Le soin apporté sur la forme et le fond délaisse quelque peu la qualité de la narration qui use de ficelles assez prévisibles pour faire évoluer l’histoire. L’ensemble n’est pas pour déplaire, mais il aurait été appréciable de s’affranchir de certains poncifs, comme une romance impossible entre les deux protagonistes. Celle-ci tient plus aux choix et à l’indécision des intervenants que de leur volonté propre ou même à leur condition sociale. On peut également évoquer des seconds rôles qui présentent une caractérisation assez caricaturale, dans le sens où les valeurs manichéennes prévalent. Le traitement reste agréable à suivre, mais manque clairement de constance pour fournir un excellent a priori.
Au final, Carnival Row est une série qui fait preuve d’originalité dans son ambiance, moins dans son scénario. Dans un tel contexte, rarement un tel univers a pu paraître aussi désenchanté, et ce, en dépit de la présence des êtres féériques. Les préoccupations sociopolitiques sont centrales, notamment ce qui a trait à la xénophobie. Le message sous-jacent prônant la tolérance et la tempérance est évident. Cependant, il aurait gagné à plus de subtilités pour mieux encadrer l’intrigue, dont le fil rouge est trop étiré pour fournir une véritable continuité. Il émane une atmosphère singulière auréolée d’un parti pris assumé qui convainc dans l’exploration de son univers ténébreux et la pertinence de ses propos.
Un film de Jon Amiel, Anna Foerster, Andy Goddard
Avec : Orlando Bloom, Cara Delevingne, Waj Ali, Leanne Best