Byzantium
** Attention, cette critique contient des spoilers.**
Une jeune fille et sa mère sont contraintes de fuir régulièrement, poursuivies par les membres d'un groupe visiblement très influent.
Discret depuis plusieurs années, le cinéaste irlandais Neil Jordan retrouve l'univers vampirique, près de vingt après Entretien avec un Vampire. Privilégiant sans conteste la fable sociale et humaniste aux blockbusters, Jordan a sans doute profité du retour en force de nos ténébreux suceurs de sang au cinéma depuis la saga Twilight pour porter le projet Byzantium à son terme, et renouer ainsi avec le cinéma fantastique.
Dès les premières séquences, ce film s'éloigne des métrages fleur bleue, populaires auprès des adolescents, pour nous plonger dans un monde sombre et froid. L'angélisme d'Eleanor tranche radicalement avec le sulfureux personnage de Clara. Le cadre de vie des deux vampires n'a rien d'idyllique, ainsi que les petits métiers de Clara. Le monde de la nuit est ici contemplatif ou vénéneux, mais le souffle de la mort est le seul compagnon d'infortune de ces deux êtres marqués par de nombreux drames.
Habituée aux grosses productions hollywoodiennes, Gemma Arterton (Le choc des Titans, Prince of Persia) n'a jamais été aussi captivante et touchante que dans ce rôle complexe, celui d'une femme rêvant d'indépendance mais toujours rattachée à un pénible passé. C'est pourtant de ce passé trouble qu'elle a hérité de son plus riche trésor : sa fille Eleanor.
Révélation du film, Saoirse Ronan (Les Ames Vagabondes) apporte à son personnage une touche de grâce et une véritable aura.
Ce surprenant duo nous emmène ensuite dans une petite ville côtière irlandaise, où le travail visuel de Jordan prend toute son ampleur, permettant de porter le métrage à un autre degré. La rigueur des éléments se marie à merveille avec la détresse des habitants de cette cité (prostituées, junkies, personnes âgées et malades).
Jordan en profite alors pour explorer l'histoire tortueuse des deux femmes, en démontrant sa grande habileté et son affection pour les scènes costumées et les reconstitutions historiques de qualité.
La relation entre les deux soldats, Ruthven et Darvell, évoque d'ailleurs l'étrange lien entre Lestat et Louis. Un probable hommage du cinéaste à une mise en abîme du vampirisme aujourd'hui délaissée au cinéma (la lumière du jour ayant, par exemple, pris les devants face au monde de la nuit).
La quête de l'immortalité reste l'un des moments forts du métrage, la beauté gothique naturelle des lieux illustrant fort à propos l'épanouissement soudain d'une créature vulnérable ouverte à la vie éternelle. Cette communion entre les éléments et les vampires est intense et originale, tout comme le côté machiste de l'ordre des créatures de la nuit et l'aspect social mis en avant par le réalisateur.
Ainsi, les victimes d'Eleanor sont des personnes âgées ou malades, qui souhaitent leur funeste sort. La jeune femme apparaît davantage comme un sauveur que comme un bourreau. Pour autant, la soif de sang est surtout vue ici comme un fardeau, trop lourd à porter, isolant les protagonistes.
Glauque et solitaire, le plaisir de la morsure est donc plus que jamais morbide, voire tabou, faisant écho aux films les plus sombres du genre (Martin, The Addiction, Morse).
L'épilogue sait se montrer violent et rythmé, afin de se démarquer du reste de l'oeuvre, plus introvertie et contemplative. La survie du duo passera par une séparation salvatrice, faisant allusion au passage adulte pour l'éternelle adolescente. Sans égaler l'exceptionnel Entretien avec un Vampire, Byzantium séduit par sa démarche visant à privilégier l'étude des caractères des héroïnes au folklore habituel.
Neil Jordan n'a en tout cas rien perdu de ses qualités et signe là un retour réussi dans le cinéma de genre, sans délaisser une certaine philosophie de la vie qui lui est chère.
Un film de Neil Jordan
Avec : Saoirse Ronan, Gemma Arterton, Jonny Lee Miller, Sam Riley