A Serbian Film
Milos est un acteur de porno qui peine à subvenir aux besoins de sa famille. Une ancienne « collègue » reprend contact et lui propose de tourner dans un film très particulier contre un salaire mirobolant. Milos accepte sans trop savoir ce qui l'attend...
La réputation d'un film le précède parfois. En général, il s'agit d'une manoeuvre marketing fallacieuse injustifiée. Le soufflet se dégonfle aussi vite que se déroulent les premières images. Toutefois, certaines productions disposent de cette notoriété pour un tout autre motif : son contenu extrême. Interdit dans plusieurs pays pour des raisons d'éthique, A serbian film emprunte le même chemin qu'un certain Cannibal holocaust. Décrié par une « élite » intellectuelle bien-pensante et conspué par la critique. Le film serait sans doute passé inaperçu sans ce remue-ménage.
Le lapin va reprendre du service.
Il est vrai que A serbian film mérite sa réputation sulfureuse. Tant dans les propos avancés que dans le déferlement de violence visuelle et psychologique, le premier long-métrage de Srdjan Spasojevic ébranle les mentalités et choque en montrant sur pellicule l'ignominie et la perversité de l'espèce humaine. L'on s'en doute quelque peu, le réalisateur poussera le sadisme à son paroxysme, et ce, en montant crescendo dans l'horreur. Il faudra attendre environ 45 minutes pour que le gros des hostilités entre en scène. Pourtant tout le travail en amont tend à préparer mentalement le spectateur.
Quelques séquences de pornographies violentes et débridées où l'on voit Milos en pleine action et ses craintes en un avenir auquel il ne croit plus. Cette première partie dépeint sa situation financière brinquebalante, son désarroi et la décrépitude d'un pays miné par les conflits. Non pas que le réalisateur tente de justifier l'injustifiable. Bien au contraire, il essaye de comprendre et de saisir l'origine des déviances d'une minorité. À ce titre, il est intéressant de constater que lesdits éléments n'ont pas un rapport évident avec ce commerce répugnant. Ce n'est pas un mal endémique à une région déterminée ou plus pauvre que les autres. Il s'agit d'une constante inhérente à l'homme même s'il refuse de le reconnaître.
Des situations scabreuses pour le moins dérangeantes.
C'est sans doute sur ce point que le métrage dérange, mais pas seulement. Car une fois cette préparation psychologique amorcée, le rythme s'emballe. L'horreur et la pornographie vont se mélanger pour former les scènes les plus extrêmes qui soient. Loin de l'enquête tortueuse et néanmoins glauque de 8 mm ou le récit contemplatif et désespéré de The Brave, A serbian film passe derrière la caméra pour mettre en abîme ce que l'on peine à imaginer. Une séquence de sodomie qui s'échoue dans la nécrophilie, le viol, l'inceste et la pédophilie se succèdent sans aucune limite.
D'ailleurs, ces deux derniers points constituent les aspects les plus abjects et difficiles. L'on ne peut s'empêcher de détourner le regard ou de ressentir un noeud au creux de l'estomac. L'atmosphère malsaine et putride suinte de la pellicule. Le sadisme et la violence gratuite sont mis en exergue pour mieux toucher le spectateur là où ça fait mal. La bande-son nous le rappelle également. Tantôt chaotique et étouffante, tantôt quasiment absente où plus aucun son ne subsiste. Il ne demeure que les images brutes de décoffrage. La plupart du temps, cela fonctionne et elle accompagne (ou non) la déliquescence des valeurs pour accentuer les émotions (majoritairement du dégoût).
Milos est dans un mauvais jour.
Contrairement au thème du snuff movie, des milieux underground et de certains navets dégueulasses (pour des raisons techniques cette fois-ci), A serbian film dispose d'une réalisation soignée. Srdjan Spasojevic sait jouer de l'obscurité, des contrastes et des angles adéquats pour adopter le point de vue qui sied le mieux aux situations. La pénombre est un personnage à part entière. Non seulement elle occupe le cadre (des pièces noyées dans les ténèbres avec une scène centrale à peine éclairée), mais s'accapare aussi les protagonistes. Elle enveloppe parfois leur visage ou une partie de leur corps. Même si les séquences les plus violentes semblent être prises sur le vif, le réalisateur ne perd pas le coeur de l'action en mouvement de caméras frénétiques complètement illisibles. Il en découle un résultat glauque et maîtrisé.
En revanche, le déroulement du récit est assez chaotique. Si la première partie se révèle linéaire dans sa progression, la seconde se veut beaucoup plus alambiquée et désordonnée. Est-ce un effet volontaire pour accentuer le sentiment de désespoir chez le spectateur ? Peut-être. Toujours est-il que cette fragmentation de l'histoire part en tout sens et se fourvoie elle-même dans une absence totale de narration. Le scénario était un prétexte au déferlement de violence. La dernière partie l'annihile complètement pour ne retenir que l'aspect choquant et confus de la succession des sévices.
« Ça c'est du film ! »
A serbian film appartient à ce genre de films qui touchera un public restreint et très averti. Tout comme Cannibal holocaust ou A philosophy of a knife, on ressent un sentiment malsain qui suinte de la pellicule. D'ailleurs, le malaise nous hante encore après le générique de fin. On se demande ce que l'on vient de voir. À travers cette montée progressive dans l'ignoble, A serbian film repousse les limites de ce que l'on peut filmer ou pas. Une vision-choc qui, malgré une dernière partie en roue libre sur le plan narratif, marque les esprits au fer rouge.
N.B. : Cette critique porte sur la version non-censurée de 103 minutes. Bien que le doublage français soit honnête, l'immersion gagne en conservant la piste d'origine.
Un film de Srdjan Spasojevic
Avec : Srdjan Todorovic, Sergej Trifunovic, Jelena Gavrilovic, Katarina Zutic