Jack l'Éventreur
La renommée de Jack l’Éventreur tient autant au mystère de son identité que de la sauvagerie de ses assassinats. Au cours du XXe siècle, bon nombre de métrages et de livres se sont penchés sur le sujet. Certains ont pour vocation de retranscrire les faits avec force et détails. D’autres étayent des hypothèses connues ou originales. Enfin, une poignée d’entre eux jouent sur l’aspect sordide. De l’implication de la famille royale aux exactions d’un habile chirurgien, tout a été envisagé, parfois même les théories les plus farfelues. Aussi, cette version semble nourrir une volonté d’être le plus réaliste possible, du moins aux premiers abords.
Pas vraiment le meilleur endroit pour une balade nocturne.
Reconnaissons là une formidable reconstitution du Londres victorien, en particulier du quartier de Whitechapel. Ruelles étroites où pénombre et brouillard se disputent les rares pans de lumière, maisons closes, bistrots miteux et logements spartiates; ce qui vaut ici pour un euphémisme... Le travail sur les décors contribue à instaurer une atmosphère criminogène parfaitement représentative de ce à quoi pouvait ressembler la capitale britannique de l’époque, exception faite des détails les plus sordides. À savoir, les venelles jonchées du sang des abattoirs et de l’insalubrité globale, notamment avec la présence d’excréments et autres déchets organiques peu ragoûtants.
Sur ce seul plan, la version de Robert S. Baker et Monty Berman mérite que l’on s’y attarde, ne serait-ce que pour les jeux d’éclairage et un cadrage suggestif. Pour autant, le film va sombrer dans l’opportunisme et la facilité très rapidement. La faute incombe en grande partie à Sam Lowry, le personnage principal incarné par Lee Patterson. Véritable anachronisme ambulant, celui-ci traverse l’Atlantique pour résoudre l’affaire de l’Éventreur au nez et à la barbe de Scotland Yard! Outre son look des années1950 (on remercie la coupe de cheveux), on ne peut que s’affliger de la piètre démarche commerciale de sa présence pour séduire le public américain de l’époque.
On finit toujours par faire de mauvaises rencontres...
Malheureusement, les bévues ne s’arrêteront pas en si mauvais chemin. À commencer par le modus operandi des meurtres et leur sauvagerie. Sans jouer sur la suggestion, on bâcle les scènes de crime tout en faisant peu de cas des renseignements historiques. L’identité des victimes, la nature des blessures, les circonstances de leur mort et les lieux où elles ont été retrouvées. L’ensemble a été remanié sans que l’on sache trop pourquoi. Pires que cela, l’implication de la presse et les nombreuses missives du tueur envoyées aux autorités ne sont guère prises en compte dans le travail d’investigations. Une enquête minée par les errances d’un scénario détournant habilement le sujet.
Car si l’on connaît les difficultés de la police à trouver des pistes probantes, elles ne seront que peu évoquées au fil des séquences. Dès lors, on suit une trame linéaire jonchée de cadavres à intervalles réguliers. À la manière d’une séance d’identification, on nous sert un panel de suspects grossiers aux physiques caricaturaux qui se mêlent à une foule en colère. Seul élément qui a le mérite d’exposer l’animosité du peuple face aux autorités. On ne peut pourtant pas parler d’une préoccupation sociétale au vu des portraits dépeints succinctement et sans grande ambiguïté. L’identité présumée du tueur survient dans un dénouement précipité qui vient conclure une traque simpliste au possible.
Pour finir dans le caniveau.
Au final, ce Jack l’Éventreur ne brille que par la noirceur de ses décors. L’atmosphère y est impeccable et parvient à retranscrire une certaine authenticité, même si le film a été tourné en studio. En dehors de cela, l’enquête est entachée par un personnage principal incohérent au regard du contexte et d’une fidélité historique des plus douteuses. On occulte certains éléments primordiaux au profit de raccourcis faciles pour jouer sur le côté sensationnaliste en délaissant le glauque. En somme, une production modeste calibrée pour toucher un large public et qui débouche vers un résultat en demi-teinte. Constat nullement rehaussé par un dénouement prévisible et précipité.
Un film de Robert S. Baker, Monty Berman
Avec : Lee Patterson, Eddie Byrne, Betty McDowall, Ewen Solon