Intruders
Depuis 28 semaines plus tard, Juan Carlos Fresnadillo s'était octroyé de longues vacances loin du tumultueux monde du cinéma. Aucune réalisation, scénario ou même production. Un silence aussi inattendu qu'inquiétant. Il aura donc fallu quatre années d'absences pour qu'il daigne revenir derrière la caméra pour Intruders. Film fantastique où Mia et Juan sont deux enfants que tout semble séparer. La nuit, ils sont sujets à des apparitions terrifiantes : un monstre nommé Sans-visage les tourmente. Si aux premiers abords, les parents ne les prennent pas au sérieux, ils vont constater que ces « cauchemars » sont plus réels qu'ils n'y paraissent.
Je suis une carie, si votre enfant a reçu cette invitation utilisez-la sinon, je m'attaque à ses dents.
Le « monstre » qui vient persécuter ces chers bambins est visible dès la scène d'introduction. Voilà qui a le mérite d'instaurer l'ambiance derechef. On y découvre une créature qui évoque la grande faucheuse en personne. Pas de visage, des doigts acérés et des mauvaises manières à ne plus savoir qu'en faire. Si le design n'a rien de bien original, la création, elle, est assez convaincante. Les images de synthèse sont propres et, l'obscurité aidant, s'intègrent parfaitement dans le cadre. Pourtant, il ne s'agit que d'une facette de Sans-visage. Mia le voit comme une sorte de Boogeyman échappé tout droit sorti d'un slasher bas de gamme. Une parka (ou un anorak), la capuche relevée pour qu'on ne distingue toujours pas ses traits et le tour est joué. Là, point de trucages nécessaires (ou très peu), un acteur sert d'épouvantail au personnage.
Une fois n'est pas coutume, cette critique a commencé par décrire l'objet de toutes les « terreurs ». Il aurait été plus simple de la débuter par la classique mise en place de l'histoire et des protagonistes, mais Sans-visage reflète à lui seul les atouts, mais surtout les errances d'Intruders. À la fois intéressant, beau dans certains aspects, mais attendu et nullement effrayant. Un récit fantastique qui brinquebale d'un côté puis de l'autre en usant de ramifications aussi inutiles qu'improbables. Alors, conte moderne, thriller fantastique, ghost-story ? À vrai dire, on ne sait trop que penser, peut-être les trois à la fois ou aucun. Si le scénario n'avait rien de bien original à nous offrir, on pouvait néanmoins déceler la thématique des peurs de l’enfance (et notamment sur les terreurs nocturnes, même si ce n'est pas clairement établi), sujet ô combien plaisant à développer dans un film d'épouvante. Ah, pardon. Il est vrai qu'Intruders ne joue pas dans ce registre également.
Brûle méchant anorak ! Brûle !
On ne parvient pas à discerner les intentions du réalisateur et encore moins le public ciblé. En cause, une alternance des points de vue qui plongent le récit dans une monotonie stupéfiante. Ainsi, on navigue entre la vie du petit Juan et celle de Mia sans jamais s’impliquer dans l'une ou l'autre histoire. Le montage est trop chaotique. À tel point qu'on a tendance à oublier Juan l'espace d'un instant. L'atmosphère, déjà très discutable, en pâtit sérieusement. Il n'y a pas de lien véritable et les scènes se succèdent cahin-caha sans jamais décoller. Le rythme est également un point noir. Il se révèle plat, voire lénifiant à certains moments, dans le meilleur des cas. Malheureusement, il se veut répétitif dans les interventions de Sans-visage. Des longues nuits orageuses où il tombe des cordes, la chambre des enfants, un placard, un recoin sombre ou une fenêtre ouverte ; le tour est joué.
Comme si cela n'était pas suffisant, le récit lui-même s'emmêle les pinceaux en occultant plusieurs points importants de l'intrigue (qui ne seront pas divulgués ici pour éviter tout spoiler) et surtout des contraintes narratives reléguées aux oubliettes. Encore une fois, les fausses pistes se multiplient (possession démoniaque, boogeyman, fantômes ou monstre imaginaire...) pour mieux tromper le public. Je dis bien tromper et non manipuler. Car la manipulation requiert de l'habileté à faire opter un certain point de vue pour influencer le jugement du spectateur, même si la vérité est apparente. Là, il est question de dissimuler les indices (parfois visible, mais rien de probant) et de brouiller volontairement les cartes pour nous servir sur un plateau un dénouement téléphoné et hautement improbable. À cela, le twist final se fourvoie dans le ridicule en divulguant l'identité de Sans-visage. Un comble, mais surtout un grand moment de n'importe quoi dans les implications d'un tel choix.
Quelqu'un pourrait lui dire que le danger n'est pas derrière, mais devant ?
Pourtant, la réalisation était loin d'être calamiteuse. Certes, le cadrage n'est pas toujours adéquat pour instaurer un climat d'angoisse ou les rares séquences où Sans-visage intervient sont passablement illisibles. La caméra se prend de soubresauts frénétiques et l'on peine à s'y retrouver. En revanche, la photographie est autrement saisissante. La mise en valeur de l'obscurité et par extension de la nuit et de ses éclairages minimes confère un véritable cachet. Malheureusement, ce n'est pas pour autant que l'on ressent le moindre frisson. En ce qui concerne les acteurs, on oscille entre le correct et l'anecdotique. Qu'ils soient expérimentés ou pas, les interprètes se contentent de faire le travail sans apporter de consistance à des protagonistes au caractère sommaire. Mention spéciale à Daniel Brühl dont le personnage (le père Antonio) gagne la palme de l'inutilité. Il s'implique, tente de remédier au problème pour les abandonner aussi vite. D'ailleurs, le père Antonio disparaît subitement sans plus d'explications.
Intruders est une déception en soi. Au vu du passif du réalisateur, du casting et des moyens honnêtes engrangés, on était en droit d'attendre un film équilibré, intrigant et surtout maîtrisé. Force est de reconnaître que les ingrédients sont présents, mais la sauce ne prend pas. L'atmosphère demeure dans les starting-blocks et se contente du minimum en jouant avec l'obscurité de manière très classique et redondante. L'on s'attarde plus à mettre en avant une histoire soi-disant complexe qui montre rapidement ses limites. Un constat tellement flagrant qu'on a '’impression que les scénaristes eux-mêmes ne savent pas trop où ils veulent en venir. L'alternance des points de vue se révèle davantage un handicap qu'une force puisque l'on passe d'un registre à l'autre sans jamais convaincre, sans jamais toucher le spectateur. Les séquences brouillonnes se succèdent, mais nous laissent de marbre en dépit de bonnes idées qui ne seront jamais exploitées.
Un film de Juan Carlos Fresnadillo
Avec : Clive Owen, Daniel Brühl, Carice Van Houten, Kerry Fox