The Witch
Si la sorcellerie a nourri nombre de fantasmes à travers les siècles, le cinéma a tôt fait de s’en approprier les grandes lignes. Sous l’angle de l’horreur, du drame, de la comédie ou du fantastique, le thème s’est décliné sous toutes les coutures, quitte parfois à sombrer dans la médiocrité. Pour autant, contes et légendes possèdent une aura particulière propre à véhiculer une peur primale qui, au-delà de toute compréhension, nous heurte à l’inexplicable, l’inconnu. La frontière entre superstitions, croyances religieuses et rationalité demeure pour le moins ténue, surtout au XVIIe siècle, époque à laquelle se déroule The Witch, la première réalisation de Robert Eggers.
L'arrivée en terre promise...
Le choix de cette période historique n’est guère anodin pour développer le contexte. Alors que les États-Unis ne sont encore qu’à leurs balbutiements colonialistes, on découvre un territoire vierge parsemé de communautés repliées sur elles-mêmes. Mais ce n’est pas au sein de l’une d’entre elles que le cinéaste aborde sa problématique. Il délaisse tout effet de groupe et de folie collective pour mieux isoler ses protagonistes. Car avant tout, The Witch est l’histoire d’un exil. Une renonciation au bout du monde des croyances religieuses et de la volonté humaine. En cela, le présent métrage s’avance comme une sorte de prélude au procès des sorcières de Salem.
L’idée est de dépeindre la sorcellerie avec une approche similaire à un drame historique, comme avait pu le faire Les sorcières de Salem de Raymond Rouleau ou, plus récemment, La chasse aux sorcières. La progression demeure très posée, parfois contemplative pour mieux susciter le malaise. Ce n’est pas pour autant que le film soit dépourvu d’intensité. C’est d’ailleurs tout le contraire avec une atmosphère développée avec un sens évident de la réalisation pour tirer le meilleur parti de l’environnement et du potentiel narratif. Ici, ce n’est pas la civilisation qui est mise à mal par une critique acerbe, mais le puritanisme et le fondamentalisme religieux qui confèrent à l’aveuglement.
Mais où donc est passé le grand méchant loup ?
Valeur de refuge et d’espoir, la religion est aussi le vecteur de doutes qui trouvent une certaine constance dans le film de Robert Eggers. En ce sens, la présence de la sorcière est rarement explicite. Tout se joue sur la suggestion, quelques symboles propres au paganisme (le bouc noir reste le plus manifeste), le comportement anormal de certains animaux, sans oublier la forêt impénétrable. Rien n’est clairement établi si ce n’est cette sensation malsaine qui émane des lieux. À ce titre, poser l’action à la lisière de la forêt accentue le caractère hostile et vulnérable qui s’en dégage, comme pour souligner l’acte intrusif de la famille et, par extension, celui de l’homme.
Durant la majeure partie du métrage, on serait même enclin à penser que la sorcière est un prétexte pour voir imploser les relations intrafamiliales. En l’occurrence, il n’est nul besoin d’une menace extérieure pour qu’ils s’affrontent. Là encore, le traitement se focalise sur la psychologie des personnages pour mieux briser les repères et les valeurs. Si l’intrigue pouvait délaisser tout côté surnaturel, elle n’en oublie pas ses ambitions de départ et propose un final déstabilisant qui se rapproche davantage du mythe originel. La base même du film se fonde sur des sources réelles et des légendes pour étayer sa propre histoire.
Philippe le Noir et ses acolytes
Résumer The Witch à un simple métrage horrifique réussi serait réducteur tant le travail de fond y est dense et nécessaire pour apprécier l’ambiance lourde et pesante à sa juste valeur. Le scénario privilégie les mécanismes de la suggestion et de la peur psychologique pour mieux manipuler le spectateur. En soi, il s’agit également d’une manière pour mieux comprendre les causes qui ont amené à des dérives, comme l’affaire de Salem ou les procès en sorcellerie en Europe. Bande-son oppressante, reconstitution historique irréprochable, intrigue dotée de plusieurs niveaux de lecture... The Witch est une œuvre complète et ambitieuse. Si sa lenteur peut rebuter un public amateur de sensations fortes, le film n’en demeure pas moins incontournable, privilégiant un traitement pragmatique et ô combien réaliste pour un sujet qui en manque cruellement.
Un film de Robert Eggers
Avec : Anya Taylor-Joy, Ralph Ineson, Kate Dickie, Harvey Scrimshaw