The Prodigies
Dans un avenir incertain, Jimbo, un talentueux professeur, réunit un groupe de cinq enfants aux dons très particuliers. Raillés pour leurs différences, tourmentés et bientôt victimes d’une sauvage agression, les cinq vont fomenter une vengeance froide implacable contre la société. Seul Jimbo est capable de les raisonner, mais le veut-il vraiment ?
Adaptation du roman « La nuit des enfants rois » de Bernard Lenteric (il y a 30 ans), The prodigies est le premier métrage d'Antoine Charreyron, réalisateur en chef de divers jeux vidéo qui ne sont pas restés dans les mémoires des hardcore gamers (Godzilla - Save the earth, Terminator 3...). L'homme s'essaye donc à un autre art narratif et force et de constater que cela lui sied beaucoup mieux. Certes, il reste dans le domaine de l'animation, mais l'oeuvre qu'il nous présente se pétrit d'ambitions presque démesurées à tous les niveaux. Douce utopie ou démonstration magistrale d'un savoir-faire hors-norme ?
Les secrets ne devraient jamais restés enfouis dans les songes.
La séquence d'introduction met d'emblée le spectateur en condition et le prévient sans la moindre ambivalence : ce qui va suivre n'a rien d'un conte de fées ou d'un dessin animé pour un jeune public, bien au contraire. Le passé de Jimbo expose un cadre familial complètement absent et montre sans complaisance une violence quotidienne banalisée. D'ailleurs, ce sera le thème principal de l'histoire. Les parents démissionnaires, la famille comme valeur illusoire qui forcent l'enfant à survivre par ses propres moyens. On pourrait presque croire que les rôles sont inversés. Les adultes égocentriques éduqués dans l'éphémère et l'appât du gain face à une génération malmenée dans un monde qu'ils ne reconnaissent pas comme leur.
Sombre, The prodigies l'est à n'en pas douter. Le récit pervertit la notion d'innocence dans ses moindres recoins. Viol, refus de la différence, manipulations, névroses psychotiques (avérées ou non), maltraitances... On ne lésine pas sur les moyens pour écorcher les âmes et, d'une certaine manière, de justifier le recours à la violence pour endiguer un mal inhérent à l'espèce humaine. En somme, chaque acte mérite le châtiment qui lui est dû. The prodigies multiplie non seulement les sujets, mais les développe avec habilité. L'agencement se révèle fluide et cohérent en tout point. Rarement un anime aura été aussi abouti sur le plan de ses thématiques.
La question a le mérite d’être posée.
Non satisfait de disposer d'une profondeur peu commune, l'intrigue est également prenante et immersive au possible. Pas de notions de temps, l'on devine juste un avenir pas si lointain et surtout proche d'une dystopie. Ironie suprême, cette dernière est quasi-similaire à notre société tant par ses apparences que sur sa volonté à infantiliser et enfermer des êtres hagards et stupides dans une autosuffisance pathétique. Toujours est-il que le film ne souffre d'aucun ralentissement et alterne entre les scènes d'action (époustouflantes et parfaitement maîtrisées) avec des dialogues intelligents, bien menés et jamais pompeux ou prétentieux. The prodigies allie le divertissement à la réflexion de fort belle manière.
Autre aspect non négligeable du présent métrage : son visuel. Au premier abord, l'on serait tenté de prendre à la légère des traits simplistes, voire grossiers. L'on se dit que la technique est dépassée avant même que The prodigies n'eût été sorti. Paradoxalement, cela contribue à son charme. Non pas qu'il génère un sentiment attendrissant face à des images désuètes (qui ne le sont pas du tout), mais confère un design appuyé et assumé qui nous change des graphismes habituels. À mi-chemin entre la 3D et la 2D, l'épure visuelle accroche le regard et met tout en oeuvre pour créer un univers marquant.
Les enfants rois au crépuscule d'une nouvelle vie.
L'animation n'est pas forcément irréprochable (les gestes sont esquissés assez rapidement, les expressions faciales sommaires), mais l'on se retrouve tellement investi au coeur de l'histoire qu'il ne s'agit que de menus détails sans importance. Si la violence est bien présente, les giclées de sang ne sont pas légion (mais toujours percutante) et la réalisation préfère jouer sur l'appréhension psychologique. Les assassinats sont inventifs (la scène du train) et parfaitement millimétrés. Pour peu, on les croirait tout droit sortis d'un épisode de Destination finale (toute mesure gardée bien entendu).
Un dernier mot sur les personnages, point central de l'intrigue. On s'extasie un peu moins face à la similarité de leur caractère. Ils ont tous vécu les mêmes épreuves de rejets et de violences, mais à un degré différent et dans des contextes dissemblables. En ce qui concerne Jimbo, on essaye de multiplier les contradictions pour le faire osciller dans un camp ou dans l'autre. Néanmoins, certains indices trop flagrants ne laissent que peu de doutes sur sa place et ses décisions à venir. Intéressant dans l'élaboration progressive, c'est en s'attardant sur quelques détails que l'on se rend compte de petites maladresses, heureusement sans incidence sur l'excellence globale.
Contemplez, car ceci est votre oeuvre.
The prodigies est une énorme surprise. Là où la plupart des productions françaises se contentent du minimum syndical ou de surfer sur un sujet en vogue, cette adaptation (pas toujours fidèle au roman, il est vrai) se veut d'une originalité et d'une profondeur confondante. Au risque de se casser les dents, Antoine Charreyron fait montre d'une très grande audace en multipliant les tours de force tant sur le plan narratif qu'esthétique. L'on constate une maturité rare et une volonté de briser les codes pour mettre en avant des problématiques aussi incisives que sombres. Une oeuvre à part entière que l'on se doit de découvrir.
Un film de Antoine Charreyron
Avec : Moon Dailly, Claire Thill, Lauren Ashley Carter, Jacob Rosenbaum