The forbidden door
Avant que le très lénifiant Modus anomali parvienne à se frayer un chemin jusque dans nos salles obscures, Joko Anwar avait réalisé Pintu terlarang, thriller horrifique passé complètement à la trappe, faute de distributeurs internationaux. Tout comme la Malaisie, l’Indonésie est connue pour l’émergence de son cinéma de genre qui apporte une touche de fraîcheur en regard des productions asiatiques lambda où les petites filles s’emmêlent encore les pattes dans leurs longs cheveux noirs. Parfois déroutants, parfois maladroits, ces films valent toutefois la peine de se faire un avis (même négatif) au vu de leur rareté dans nos contrées.
Ca vous donnerait le tournis.
À l’instar de son pitch de départ, Pintu terlarang suscite la curiosité autant qu’il décontenance. L’entame se montre lente avec une exposition (dans tous les sens du terme) assez décousue et brinquebalante. Une première partie aux allures de thriller où un artiste cache des fœtus avortés dans les sculptures de femmes enceintes. Concept tordu et singulier qui aurait pu faire prendre un tournant horrifique à l’intrigue. Toutefois, cette idée sombre dans une impasse, car l’on ne saisit ni les intentions du cinéaste et encore moins ce qu’il tente de nous expliquer par ce biais. D’ailleurs, cet aspect n’offre aucune tension, aucune ambiguïté au niveau du potentiel initial.
Malgré un folklore local assez dense et inédit pour les Occidentaux, l’approche se veut assez nihiliste dans ses fondements. Joko Anwar privilégie le réalisme et la dénonciation des problèmes de son pays en se perdant de temps à autre dans des digressions qui aplanissent une atmosphère assez lourde, voire malsaine. De fait, aucun élément fantastique ou paranormal ne surviendra, même si l’on a la sensation de sentir quelques fantômes surveiller la scène. Le rythme ne décollera pas en seconde moitié, mais l’intrigue prendra une direction différente où les tourments de Gambir (le sculpteur) céderont face à des préoccupations plus concrètes. Enfin, presque…
Tout est dans le titre... Hum !
On en oublierait presque la présence de cette curieuse porte qu’il ne peut ouvrir. Là où l’histoire bascule dans un voyeurisme scabreux, elle bifurque également dans un ultime virage dans un ton très psychologique où les époques se confrontent sans jamais se toucher. Cela peut paraître terriblement abstrait, voire incompréhensible, mais c’est l’impression générale qui émane de Pintu terlarang. Le scénario dispose d’une certaine densité, mais se perd dans une progression pataude et détournée où les longueurs succèdent à une contemplation filmique pas forcément adéquate dans de telles circonstances.
Dommage, car l’on sent un matériau de base suffisamment intrigant pour offrir une œuvre étrange et pas banale. D’ailleurs, la réalisation est loin d’être ignoble. Certains plans évoquent le faux documentaire pour appuyer la crédibilité d’images brutales, mais l’on retient surtout une photographie travaillée où les effets de lumière magnifient la crasse ambiante ou, a contrario, un univers aisé et aseptisé où la propreté contraste deux facettes de la société indonésienne. On regrettera simplement que l’exploitation de l’environnement se résume à quelques rues et une placette. En revanche, les intérieurs disposent également de cette ambiguïté grâce à des décorations modernes et kitch, un peu comme si le protagoniste avait un pied dans le présent et le passé.
La convivialité des repas de famille permet toujours de solder quelques comptes.
Des personnages aux motivations floues et ambivalentes, malgré un premier abord assez froid et convenu. De la superficialité découle en vérité des cicatrices encore vivaces, des caractères écorchés pour expliquer (et non justifier) leurs comportements passifs ou actifs au fil de l’histoire. Un traitement soigné qui, néanmoins, prend trop de temps à évoluer pour exploser sur un final douteux où le gore (à la limite du grand-guignolesque) côtoie une argumentation inattendue et obscure dans les aboutissants qu’il propose. Il en ressort une conclusion à l’image du film : éparpillée et difficilement accessible.
Au final, Pintu terlarang est une production atypique qui tend à se perdre dans une multitude de sous-intrigues plus ou moins intéressantes. Certains passages manquent de répondant et les pistes évoquées sombrent trop rapidement dans des impasses (particulièrement les fœtus avortés). Le récit se révèle donc décousu, abstrait et lent, malgré l’atmosphère lourde que dégage la pellicule. Entre le thriller psychologique et l’horreur dans le dernier quart d’heure, un métrage à la progression chaotique qui nous laisse une impression mitigée et partagée quant à la prédominance d’un traitement tentaculaire sur le réalisme de fond.
Un film de Joko Anwar
Avec : Fachry Albar, Marsha Timothy, Ario Bayu, Tio Pakusodewo