Après nous avoir offert quelques-unes des plus grandes perles de l'animation (
Perfect blue,
Millenium actress...), Satoshi Kon a fait un petit détour par la case « série » avec
Paranoia agent. Entre thriller et fantastique, le présent anime nous conte les agressions d'un mystérieux garçon armé d'une batte de baseball. Les victimes se multiplient, l'enquête piétine et aucune piste sérieuse n'est avancée.
Maromi !
Les premières images nous montrent un Tokyo en pleine effervescence. Un bouillon de stress où les conversations téléphoniques fusent dans tous les sens si bien qu'elles en deviennent confuses et incohérentes. Une manière de traduire un problème inhérent à nos sociétés de consommation : l'incapacité à communiquer ou le détachement de l'humain face à la technologie et au rendement. Il s'agit là d'un des fondamentaux qui occuperont la majeure partie de l'intrigue. Moins de cinq minutes auront été nécessaire pour que
Paranoia agent pose les bases d'un récit complexe, profond et intelligent.
Mais nous n'en sommes qu'au début des réjouissances et le gamin à la batte ne tarde pas à sévir dans les sombres ruelles de Tokyo. Un tueur en série ? Le mode opératoire laisse à penser que oui, mais la plupart du temps les victimes réchappent des agressions, même si elles conservent de graves séquelles. Derrière cette tortueuse affaire, on devine un penchant pour dénoncer le clivage intergénérationnel en prêtant à l'agresseur les traits d'’un enfant. Les attaques relèvent davantage de la violence gratuite qu'un véritable mobile (enfin, c'est ce que l'on souhaite nous faire croire) puisqu'il n'y a aucun lien apparent entre les différents protagonistes.
Fan de baseball, vous êtes suspect.
À l'instar de
Boogiepop phantom, la trame narrative est assez décousue (surtout durant les sept premiers épisodes). Certes, on est loin de l'incompréhension totale de l'anime précité, mais la profusion de points de vue confrontés à un événement commun et leur manière de l'aborder rappelle ce procédé alambiqué que peu de scénaristes savent maîtriser. Dans le cas présent, le suspense est au rendez-vous et le lien entre les intervenants plus évidents. Le récit est bien construit, prenant à plus d'un titre et intelligent lorsque l'on approfondit les messages sous-jacents. La déshumanisation de notre civilisation, l'appréhension de la mort (plus particulièrement du suicide) ou les désirs inassouvis sont les principales réflexions avancées.
Difficile d'asseoir Paranoia agent dans un genre bien précis. L'enquête, les fausses pistes, les suspects... relèvent du thriller. La suite est beaucoup moins évidente. En effet, l'histoire tend vers des chemins fortuits, voire surprenants. Une fois, la moitié des épisodes écoulés, on nous octroie une note fantastique aux proportions inconsidérées et se perd dans un délire hallucinant. L'imaginaire se mêle à la réalité dans un cocktail délectable. La nature du gamin à la batte, les introspections qui prennent le pas sur le rationnel ou la volonté de se réfugier dans ses illusions sont autant d'exemples qui permettent de se faire une idée (difficile d'être exhaustif ou précis dans pareil cas) sur les tournants et rebondissements qui attendent le spectateur.
Pas beau à voir, n'est-ce pas ?
Comme d'habitude, les Japonais excellent dans le domaine de l'animation et ce n'est pas
Paranoia agent qui dira le contraire. Les traits des personnages ont des faciès bien appuyés, un peu plus rondouillards qu'à l'accoutumée et très dissemblables les uns des autres. Ils évoluent dans un Tokyo oppressant où le stress est le moteur de la vie quotidienne. Plus étonnant encore, certains passages disposent de graphismes complètement saugrenus. La ville de l'inspecteur entièrement réalisé en deux dimensions, le dessin animé
Maromi avec ses dessins simplifiés à l'extrême et même quelques petites coupes de story-board. Là encore, le propos de la folie et de la paranoïa est servi avec maestria et dans un ton toujours très décalé.
Pour ce qui est des personnages, c'est un panel de caractères aussi dissemblables que leur physique. Sans sombrer dans la caricature ou le cliché malvenu, les protagonistes semblent posséder une vie propre, comme si l'histoire qui nous était contée n'était qu'une parenthèse dans leur existence. La créatrice de peluches, le flic bourru et son acolyte un brin naïf, le journaliste véreux, le petit chouchou de la classe ou la schizophrène nymphomane. Il y en a tellement qu'il est vain de tous les citer. Il faut simplement savoir que chaque épisode permet de mieux les connaître, de s'y attacher et, pourquoi pas, de faire la lumière sur l'énigme du gamin à la batte.
Pas de pitié pour les pâtisseries !
Pour son incursion dans la télévision, Satoshi Kon réussit un grand coup. Celui de conserver son public avec une histoire adulte et définitivement sombre tout en prenant en considération les problèmes de notre époque. La dérision est prépondérante afin de les mettre en évidence et dénoncer l'absurdité d'un système éphémère. Tant le fond et la forme sont inspirés,
Paranoia agent manie les ficelles du thriller et du fantastique pour mieux piéger le spectateur dans sa toile. Si la deuxième partie de la série peut en décontenancer plus d'un, il demeure un anime de premier ordre où le fantasmagorique délivre ce qu'il a de plus beau. La boucle est bouclée. Enfin, presque...