Mu Zan E
Grand pourvoyeur de pellicules scabreuses et dérangeantes, le cinéma japonais a tôt fait d’explorer les recoins les plus sombres et putrides de l’âme humaine. Certains réalisateurs s’en sont allègrement repus dans les années1970 avec les pinku eiga. Mais les inclinations sadiques et masochistes ne se limitent pas à un sous-genre érotique. Elles s’insinuent dans des métrages plus «conventionnels» tels que la trilogie Hanzo the razor avec un inspecteur de police aux tendances sexuelles délurées (bondage, tortures...). Le point culminant de cette exploitation de la souffrance vient avec la Catégorie3, sorte de torture-porn avant l’heure en plus pernicieux.
Déjà responsable de Red room, Daisuke Yamanouchi avait signé la même année Mu Zan E. Cette production underground pour le moins modeste explore le thème du snuff movie (comme l’avait fait Joel Schumacher et son 8mm) sous le prisme du faux documentaire. Alors que la scène internationale était encore occupée à démêler le vrai du faux sur Le projet Blair Witch, quelques cinéastes avant-gardistes se sont essayés avant l’heure à cet exercice avec peu de moyens. Toujours est-il que les poncifs sont présents pour entretenir le doute (du moins, dans un premier temps) sur la véracité des images.
Une présentatrice mignonne, un enrobage propre à rappeler les reportages d’investigations, ainsi qu’une équipe réduite vont en ce sens. On ne parlera pas d’amateurisme, mais d’une volonté à rendre un ton confidentiel à la pellicule pour que le spectateur se sente privilégié. Interviews, enquête sur le terrain, recoupement des faits évoqués pour exposer les derniers instants ayant précédé la disparition de l’intéressée... Rien ne manque pour proposer un travail méticuleux et une progression somme toute crédible dans l’ensemble. Seulement, plusieurs éléments viennent entacher ce constat...
Tout d’abord, le sensationnalisme que dégage la mise en scène. Le scoop d’une carrière pour une journaliste débutante avec un sujet fort et tous les ingrédients qu’il réunit pour alimenter son propre mythe: personnages inquiétants et dérangés, cadre délétère, violences, sexe et meurtre... On est bien loin de la bobine crasseuse trouvée dans une poubelle ou dans une collection privée (on parle même d’une location dans un magasin de vidéo). D’ailleurs, les jingles présents lors des intermèdes ou des moments clés (comprenez une découverte capitale pour l’équipe) sont irritants au possible, tout comme les soi-disant avertissements d’images choquantes finalement floutées.
En cela, le film se tire une balle dans le pied, car il souhaite préserver l’anonymat d’une célébrité du X, qui plus est, en citant son nom! Une démarche incohérente qui tente en vain de se rattraper par une explication douteuse de dernière minute. On déplore également une incursion dans le milieu du porno ressassant encore et toujours les mêmes clichés: l’exploitation et la déshumanisation de la femme sans qu’elle ne trouve rien à redire. Ajoutons à cela des tendances ménophiles et autres jeux de sang pour rendre le tableau plus écœurant que foncièrement que perturbant. Le snuff étant ici une conséquence involontaire plutôt qu’une réelle motivation de monnayer la souffrance d’autrui.
Il est vrai que la violence graphique est présente avec des séquences qui justifient l’interdiction de Mu Zan E aux moins de 18 ans. Il existe bien des subterfuges pour atténuer la brutalité des images (cadrage anarchique, cris de douleurs, privilégier l’évocation par le dégoût des spectateurs du snuff...). Toujours est-il que les trucages demeurent corrects et ont sans doute bénéficié de la majeure partie du budget. La scène d’éventration (également floutée dans les grandes largeurs) souffre d’un rendu abominable. L’impression reste la même lorsqu’on contemple les moments filmés par les deux frères assassins.
Au final, Mu Zan E aurait pu être un faux documentaire aussi malsain que réussi sur le fond. Toutefois, de trop nombreuses errances viennent s’incruster dans une progression redondante pour amoindrir une atmosphère scabreuse où le mythe du snuff est mal exploité. Entre les poncifs exposés à la va-vite (le porno, berceau du snuff), les incohérences narratives (anonymat, aspect commercial du snuff absent...) et les maladresses diverses et variées propres au genre, il en ressort un traitement bancal. L’ambiance instaurée peut paraître malsaine, mais n’est en rien angoissante. Une production underground inconstante où le caractère sensationnaliste de l’affaire prévaut sur la violence graphique.
Un film de Daisuke Yamanouchi
Avec : Yûki Emoto, Naohi Hirakawa, Shigeki Katô, Hiroshi Kitasenju