Evil Boy
En considérant les productions qui parviennent à se frayer un chemin jusqu’à nos contrées, le cinéma russe est pour le moins démonstratif dans sa mise en scène. Qu’il s’agisse de films d’action,de fantastique ou même d’horreur, l’expansivité soviétique tient à un rythme frénétique et des effets visuels en pagaille qui confèrent presque à l’esbroufe. Outre la saga Night Watch, des métrages tels que L’Éclair noir, La Légende de Viy ou Guardians sont assez représentatifs de ce constat. En revanche, il est plus rare de pouvoir apprécier un film d’horreur qui prône avant tout l’aspect psychologique de son intrigue et non la connotation spectaculaire d’éventuels phénomènes paranormaux.
De la mauvaise graine sur quatre pattes ?
Et c’est précisément ce que propose Evil Boy. Comme son titre l’indique, le premier long-métrage d’Olga Gorodetskaya se penche sur un sujet éculé dans le domaine du thriller horrifique: les enfants diaboliques. Lorsqu’elle est bien amenée, cette thématique interpelle sur la notion de mal en tant que valeur innée ou acquise. Naît-on foncièrement mauvais ou le devient-on en fonction de son éducation ou d’un contexte social spécifique? On se souvient de références marquantes en la matière, comme Les Innocents, Le Village des damnés, La Malédiction ou, plus récemment, Eden Lake, The Children, sans oublier Le Cas39. Autant d’exemples qui traduisent la difficulté de s’insinuer dans un domaine si bien pourvu.
Sans doute est-ce l’une des raisons pour que la présente intrigue prenne le problème à rebours. L’approche est foncièrement différente des films précédemment évoqués, car le background, somme toute dense, privilégie un développement tragique. Afin de rendre le prétexte crédible, le scénario insiste sur la douleur que provoque la disparition de sa progéniture. La caractérisation explore donc les failles psychologiques des parents confrontés à ce drame. L’impossibilité de faire leur deuil, le refus de l’évidence, la volonté de nourrir un espoir, même ténu... Autant de mécaniques évoquées qui se mettent en place. Sur ce point, Evil Boy demeure remarquable de maîtrise.
L'échographie du bonheur !
De même, on peut saluer le fait de brouiller les pistes sur l’origine de cet enfant sauvage. On songe tour à tour à un garçon contraint de survivre en pleine forêt, à une forme d’autisme exacerbé, ainsi qu’à une nature démoniaque. Cela tient autant à son comportement qu’au bref clin d’œil de son patronyme, Damien. D’ailleurs, le prénom n’est guère anodin, car il accentue l’amalgame avec le fils disparu. On s’interroge alors sur le rôle de substitution et la part d’individualité de chacun. Le fait d’imiter une conduite similaire pour «plaire» va aussi en ce sens, jusqu’à semer le doute dans l’esprit des protagonistes et du spectateur. Et si leur fils présumé mort était revenu?
Il est d’autant plus regrettable que le film ne joue guère de constance. À force de multiplier les pistes et les hypothèses plausibles, la narration se perd dans quelques considérations évasives quant à l’origine de ce garçon. Cela se traduit par des invraisemblances comportementales où le rapport affectif avec la mère et le père s’inverse. On notera que le renversement des valeurs est à la fois implicite et explicite à travers la volonté de nuire de l’enfant, mais aussi du passage de l’amour inconditionnel à la crainte irrationnelle pour la mère. En ce qui concerne le père, on évoque cette évolution par un scepticisme clairement affiché, puis par une connivence plutôt inattendue et discutable.
Le passage à la salle de bains est toujours délicat pour les enfants en bas âge...
En cause, des évidences qui n’altèrent en rien le comportement de l’un ou de l’autre et des investigations qui mettent en avant la menace latente de conserver la garde du garçon. On peut également s’attarder sur un épilogue précipité qui, malgré une explication intéressante, bâcle sa portée à travers deux ou trois séquences beaucoup trop vite expédiées. Quant aux trucages et images de synthèse, ils se révèlent pathétiques et assez maladroits. Il aurait été préférable d’en faire l’économie pour préserver la qualité de cette atmosphère anxiogène; de l’orphelinat isolé à l’écrasante présence des tours de béton de Moscou. À noter quelques effets de mise en scène bien sentis qui jouent sur les perspectives des lieux et les contre-plongées pour mieux souligner la perte de repères.
Au final, Evil Boy est une production russe qui sort du lot dans le sens où l’aspect psychologique est privilégié. Il en émane une première moitié assez saisissante où les personnages, assez peu nombreux, sont bien campés, notamment dans la détresse émotionnelle qu’ils suggèrent. Le mystère qui gravite autour de l’enfant est également bien amené. Malheureusement, le film d’Olga Gorodetskaya souffre de maladresses que l’on incombe à un manque d’expérience. On songe essentiellement à la continuité de la narration qui tend à s’éparpiller aux quatre vents et à des interactions qui perdent en cohérence sur le rapport affectif de l’enfant. Dommage, car l’aspect maléfique de ce dernier, sciemment mis en retrait, présentait une approche assez singulière de son sujet.
Un film de Olga Gorodetskaya
Avec : Sevastian Bugaev , Roza Khayrullina, Elena Lyadova, Evgeniy Tsyganov