Elysium
Sous la houlette de Peter Jackson, le remarqué (et remarquable) District 9 révéla en 2009 un cinéaste talentueux : Neill Blomkamp. En se basant sur son propre court-métrage, il était parvenu à nous offrir une oeuvre de science-fiction à la fois originale et à la portée percutante. Comme si cela n'était pas suffisant, la réalisation disposait d'une force graphique peu commune évoquant les reportages en territoire hostile. Quatre années s'écoulent et le voici de retour avec son nouveau bébé : Elysium. Attendu au tournant, celui-ci tient-il la comparaison avec son aîné ? Neill Blomkamp confirme-t-il son statut de metteur en scène hors-norme ou succombe-t-il aux sirènes d'Hollywood ?
Difficile de faire un marathon harnaché comme ça.
Elysium n'est pas la suite à proprement parler de District 9. Toutefois, l'on ne peut s'empêcher de rapprocher les deux films. Pourquoi ? Résumer cet état de fait à leur simple géniteur commun serait un peu vite expédié et incomplet. Il paraît néanmoins nécessaire de s'y attarder, car l'atmosphère qui s'en dégage est similaire. On y retrouve une trame sous-jacente identique (l'incertitude de notre avenir) servie par un cadre déliquescent, à savoir les bidonvilles. Exit l'Afrique du Sud, bonjour Los Angeles ! Enfin, on a davantage l'impression de se situer au c½ur des favelas de Rio gangrenés par la surpopulation et la criminalité.
Pas un arbre, un brin d'herbe ou même un plan d'eau. La ville des anges est devenue un dépotoir agonisant. Le sentiment d'oppression est permanent. Entre la répréhension et la tolérance zéro des autorités, la pollution, on suffoque dans cet environnement sans lendemain. Les contrastes mordorés (teintes ocre) accentuent cette sensation. On a l'impression d'arpenter un désert de béton. Le ciel malade, les logements insalubres, la crasse qui suintent des artères de cet organisme font d'Elysium une odyssée dans la misère. L'atmosphère et le cadre sont donc une pièce maîtresse pour se sentir happé par l'histoire.
On a une chouette vue d'ici.
Scénario qui, au demeurant, reste assez classique dans son agencement (un personnage dés½uvré qui se révélera le catalyseur de la rébellion face au dictat instauré). Pas d’extraterrestres à l'horizon ou de caméras à l'épaule. Ici, l'homme est l'instrument de sa propre destruction. Certes, le sujet a déjà été traité de différentes manières, mais lorsque l'écriture est maîtrisée, la pilule passe sans le moindre mal. On retrouve le thème de la lutte des classes qui découle d'une certaine xénophobie, les pauvres s'apparentant à des indésirables sans valeurs (à tout le moins une main-d'½uvre bon marché).
En dépit du manque de surprises au cours du récit, l'on parvient à s'y immerger comme il se doit. La réussite incombe principalement à une mise en scène dotée d'un souci du détail qui confère à l'obsession. Neill Blomkamp s'attache à disséminer de nombreux clins d'½il et références (insignifiants en apparence) dans des plans inspirés. Il se fait succéder réflexions, fusillades et explorations avec une rare fluidité. Petit bémol en ce qui concerne les séquences de combats rapprochés, un rien trop rapides et donc brouillons à certains moments, mais rien de répréhensible. Le cinéaste s'essaye à un exercice moins cahoteux que le faux documentaire et parvient à ses fins.
La mode "Ripley" fait encore des émules.
Son identité se répercute également au niveau du design des robots et des véhicules « customisés ». Les armes sont, quant à elles, inspirées. Elles mélangent vieilleries et idées novatrices dans la manière de blesser ou tuer les cibles (désintégration, boucliers, balles à la portée dévastatrice...). Dans chaque aspect du métrage, la patte « Blomkamp » est réelle et évidente. Contrairement à certains seconds films où les cinéastes se retrouvent bridés par la production, on sent qu'ici l'imaginaire du metteur en scène (et scénariste) est respecté. En somme, la technologie sur Terre se compose d'un gros sac de récup, d'une bonne dose d'ingéniosité et d'un soupçon d'innovation.
À ce titre, le clivage avec Elysium est d'autant plus flagrant. Dans sa conception, on songe immédiatement à Halo. Outre son architecture, la technologie à bord de cette station spatiale pas comme les autres laisse rêveur. En tête, les met-box qui guérissent tous les maux d'un simple tour de clef (cancers, fractures...). Le contraste se poursuit avec la végétation foisonnante et l'indécente opulence qui s'en dégage. Tout a été conçu afin d'opposer un maximum les terriens et les citoyens. Pour se faire, les effets spéciaux ne montrent pas l'ombre d'une faille. Qu'il s'agisse de trucages un peu plus old-school ou des images de synthèse, l'ensemble forme un mélange homogène enchanteur pour les rétines.
Du bon boulot, les gars.
Il reste à se pencher sur la caractérisation. Là encore, les antagonistes sont présents, mais, revers de la médaille, se révèlent trop manichéens. De fait, le côté mauvais garçon de Max ne flouera pas ses qualités. Comme d'habitude, Matt Damon est impeccable sur le devant de la scène. Jodie Foster campe son personnage avec un diabolique sens de l'ignominie. En revanche, Alice Braga est un peu trop effacée avec un rôle en demi-teinte et Sharlto Copley est un « grand méchant » trop caricatural. Il en ressort un panel d'individus assez éclectiques, mais finalement peu surprenants.
Grâce à Elysium, Neill Blomkamp confirme son statut de réalisateur talentueux à l'imaginaire fertile. Le parallèle avec District 9 est évident. On y retrouve l'empreinte de son géniteur tant dans le cadre, les véhicules, la technologie ou cette manière dont il dépeint sans concession l'avenir de l'humanité via des panoramas paradoxalement splendides. Non seulement beau et techniquement abouti, Elysium fait montre d'une intelligence peu commune pour un blockbuster. Malgré quelques ficelles évidentes dans le scénario et le peu de surprise engrangé au fil de la progression, on est très loin d'un produit aseptisé sans âme.
Un film de Neill Blomkamp
Avec : Matt Damon, Jodie Foster, Sharlto Copley, William Fichtner