Cloud atlas
Il est parfois des œuvres indéfinissables qui, après les avoir parcourues, marquent un grand point d’interrogation dans notre esprit. Sans être particulièrement mauvaises, elles ont tous les apparats d’OVNI dans le monde culturel, tellement leur histoire laisse perplexe. Parmi celles-ci, le roman de David Mitchell trouve une place de choix avec sa profusion d’intrigues et de personnages qui s’entrecroisent à des époques et en des lieux disparates. Il paraissait peu probable de voir un jour cet ouvrage adapté au cinéma au vu de sa construction décousue, voire insaisissable. C’était sans compter sur les Wachowski qui avaient besoin d’un nouveau projet après le flop monumental de Speed racer...
Contrairement à son modèle littéraire, le film alterne à intervalles constants les différentes histoires au fil de sa progression. Presque trois heures sont nécessaires pour développer chaque séquence avec toujours ce sentiment déconcertant lorsque l’on tente de déceler le fil rouge, du moins un point commun. Tant le cadre, l’époque, le contexte, les personnages, leurs importances et leurs aspirations, la justification au sein même du récit principal sont autant d’éléments qu’il faut essayer d’assimiler pour saisir le sens d’un projet aussi extravagant qu’incompréhensible. La complexité n’est pas qu’une façade, mais un moteur destiné à perdre le spectateur dans les méandres d’une multitude d’intrigues aux qualités versatiles.
Il en découle un montage anarchique qui ne dispose d’aucune cohérence. Bien sûr, l’on parvient à distinguer des thématiques communes, comme la rédemption, la notion de liberté individuelle et globale, les erreurs du passé et leurs conséquences sur les futurs possibles… Cloud atlas regorge d’analyse, d’introspection et de réflexions en tout genre, quitte parfois à se contredire dans ses propres affirmations. Le pluralisme est de rigueur avec un aperçu tout aussi généraliste que personnel de l’humanité. Les origines, les croyances et les protagonistes sont autant d’outils mis à disposition des cinéastes pour souligner la diversité et la différence dans toute sa splendeur. De ce point de vue, on a droit à une richesse presque insondable.
Cette exubérance se trouve également dans les mondes créés. Qu’il s’agisse du XIXe siècle, des années 1920, 1970, du présent, du futur ou d’un lieu à la date incertaine, chaque époque jouit d’un rendu qui lui est propre, ce qui facilite un tant soit peu le travail du spectateur pour resituer les événements à la bonne place. Malgré le statut de production indépendante, le budget de 100 millions de dollars (un paradoxe qui s’explique par la frilosité des studios hollywoodiens et le nombre conséquent d’investisseurs) permet d’obtenir des effets spéciaux bluffants pour donner vie aux différentes scènes. Mention particulière pour Néo-Séoul et à l’île de Zachry qui disposent de design originaux, soignés et crédibles dans leurs explorations.
Rarement un casting se sera impliqué avec autant de talents et de diversité pour une multitude de rôles. L’on pourrait penser qu’il suffit d’un look aux antipodes, de brimer ses traits, pour interpréter une même âme qui voyage de corps en corps, mais il n’en est rien. En effet, celle-ci évolue au fil de ses réincarnations et peu se révéler tantôt détestable, avide et cruelle ; puis se montrer plus compatissante et honnête. Cette inconstance propre à l’homme démontre une difficulté évidente pour composer non pas un, mais plusieurs rôles. A ce niveau, le travail effectué sur la caractérisation s’avère encore plus alambiqué et poussé que sur les intrigues.
L’ambition démesurée de Cloud atlas dépasse sans doute l’œuvre elle-même et laisse perplexe sur les impressions que le film dégage. La faute à une confusion permanente qui exigent plusieurs visionnages pour tenter de saisir toutes les subtilités que dissimulent la multitude d’histoires. Les Wachowski n’ont pas faibli devant l’effort en nous offrant une fable empreinte de poésie, mais se perd en chemin en laissant de trop grandes largesses quant aux aboutissants. Ode à la diversité et réflexion sur l’humanité, ainsi qu’à sa complexité intrinsèque, Cloud atlas est une odyssée peu commune dans le monde du cinéma. Risquée, audacieuse et anticonformiste, cette production conserve une certaine part de mystères lorsque le générique de fin se déroule.
Un film de Lilly Wachowski, Lana Wachowski, Tom Tykwer
Avec : Tom Hanks, Halle Berry, Jim Sturgess, Hugo Weaving