Big Bad Wolves
Un père de famille entreprend de venger sa fille en infligeant au meurtrier de cette dernière les mêmes tortures qu’il lui a fait subir. Au-delà de la simple vengeance, le but est aussi de lui faire avouer l’endroit où il a enterré la tête de l’enfant.
Dès sa scène d’ouverture, Big Bad Wolves est marqué par la confusion qui ressort de l’action : trois hommes en malmènent un quatrième en l’assenant de questions sans que l’on sache ce qui se trame. On comprend finalement que celui que l’on croit d’abord être la victime est justement accusé d’être le meurtrier d’une petite fille, malgré son dénie face à ces accusations. De ce rapport au mal qui s’inverse soudainement, ressort la problématique qui parsème le film : quelle est la responsabilité des uns et des autres et quel est leur véritable rôle dans cette histoire ?
Big Bad Wolves aborde le sujet délicat de la pédophilie à travers un film d’un genre hybride à la croisé du drame, du thriller, de la comédie noire et même du torture porn. Un professeur d’enseignement religieux est accusé d’avoir violé, torturé et décapité des fillettes dont il a enterré les corps et les têtes séparément. Visiblement incapable de prouver sa culpabilité, la police le relâche, entrainant ainsi la déchéance de sa réputation malgré l’absence de preuve à son encontre. Son passage à tabac par les policiers, filmé par un adolescent qui se trouvait dans l’immeuble désaffecté où avait lieu la scène, envenime les choses et provoque du même coup la suspension d’un des flics mis en cause. Décidé à résoudre personnellement l’affaire, ce dernier se met en tête de suivre le suspect pour l’interroger lui-même et obtenir de savoir où il a caché les têtes de ses victimes. Seulement, le père de l’une d’entre elles est aussi sur le coup : il ramasse les deux bonhommes et les emmène dans la cave d’une maison isolée, spécialement aménagée pour l’occasion.
Après discussion, le père de la fillette libère le policier et, d’accords sur le sort à infliger au pédophile, ils se retrouvent tous les deux face à l’homme attaché à un fauteuil. La torture commence et fait occasionnellement basculer le récit dans des scènes d’une violence très graphique. Cassage de doigts à coups de marteau, brûlure au chalumeau et autres sévices sont au programme. Ces quelques moments de carnage sont assez inattendus au regard du ton plutôt léger (malgré le sujet traité) du film. Il faut croire que c’est précisément l’effet voulu par les deux réalisateurs, Aharon Keshales et Navot Papushadoqui, qui jouent avec les nerfs du spectateur en faisant monter la tension et en s’amusant à la briser au dernier moment pour finalement arriver à des actes d’un sadisme digne d’un torture porn ! En effet, ces quelques moments de violence extrême s’intègrent à un récit qui se veut également drôle. Loin de provoquer l’hilarité, l’humour de Big Bad Wolves tient plutôt à la cocasserie des situations qui rappelle le cinéma de Quentin Tarantino, et notamment la scène de l’arrière-boutique de Pulp Fiction qui semble avoir inspirée les réalisateurs. Comme dans cette dernière, des imprévus viennent momentanément interrompre l’action et modifie la donne. Comme lorsque le père du bourreau débarque à l’improviste pour lui apporter de la soupe après qu’il est dit à sa mère qu’il était malade, pensant hotter l’envie à ses parents de lui rendre visite à son nouveau domicile. Ce nouveau personnage entrant en scène va accidentellement découvrir l’envers des décors et prendre part aux sombres activités qui s’y déroulent.
Mêlant habilement les codes de genres complétement différents, Big Bad Wolves joue également sur le fond culturel et politique de son pays d’origine : Israël. Outre les clichés relatifs à la judéité du type « relation mère / fils » qui provoque l’irruption du père du bourreau avec une soupe sensée conforter un malade imaginaire, c’est aussi le conflit israélo – palestinien qui est représenté symboliquement. La maison où les bourreaux séquestrent leur victime est située en pleine campagne, un environnement perçu comme dangereux car « entouré de villages arabes » selon les propos du nouveau propriétaire. Ce positionnement géographique donne lieu à une rencontre avec un cavalier, d’abord perçu comme une menace potentielle mais se révélant vite être inoffensif. Ici, le danger ne vient pas de l’Autre mais est disséminé à l’intérieur du groupe formé par les bourreaux et leur proie. L’interaction entre le cavalier arabe et le flic israélien amène à un échange qui joue lui aussi sur les clichés que les deux communautés s’attribuent l’une à l’autre. Même si cette scène n’apporte pas grand-chose à la narration, elle donne une consistance supplémentaire à ce thriller qui devient ainsi un « film israélien » avec ses propres problématiques de représentation.
Le tout est très bien réalisé, la mise en scène fluide rappelle celle d’un film hollywoodien et l’on a du plaisir à suivre les rebondissements. Cependant certains aspects du métrage minimisent sa relative originalité, celle-ci résidant principalement dans son origine (a t’on vu beaucoup de films de genre israéliens ?). Finalement la thématique abordée, la pédophilie et la vengeance brutale qu’elle engendre, n’est pas une nouveauté, Hard Candy ou Les sept jours du talion s’y étaient déjà attaqués auparavant. L’audace du film réside peut-être dans l’aspect comique qui surgit par moment. Ce qui tient le film se produit aussi dans le rapport confus évoqué plus haut, qui pose la question de la responsabilité et de la culpabilité de chacun. Là se trouve le sens du titre du film « Grands méchants loups », qui fait référence au jeu des cours de récré où le rôle du loup change régulièrement. Si les rôles respectifs, meurtrier et vengeurs, semblent clairement définis, le déni systématique du pédophile face à ce qui lui est reproché suscite forcement des interrogations alors que sa culpabilité n’est pas démontrée mais est introduite d’emblée par le déroulement narratif. Il faut aussi souligner la mise en scène bancale de la scène de poursuite urbaine qui précède l’enlèvement du pédophile. Dans des rues désertes, le flic poursuit le pédophile pour l’attraper – encore une fois à l’image du jeu d’où le film tire son titre, lui-même bien mieux illustrer lors de la séquence de générique du début. Le découpage de l’action et le montage ne parviennent pas à rendre l’action crédible, seul gros défaut de ce film pourtant maitrisé. Le « grand méchant loup » finit par attraper sa proie grâce à un camion garé en travers de la rue, bouchant littéralement le passage. Toujours personne à l’horizon, la mise en scène de cette situation tombe dans la facilité.
Big Bad Wolves n’est peut-être pas le film de l’année 2014 (dixit la citation de Tarantino sur l’affiche du film) mais n’en laisse pas moins une impression d’un bon moment passé, du moins pour les spectateurs avertis, avides de films de ce genre. Chose plutôt ironique quand on pense à ce sur quoi il est construit : une histoire de pédophilie, de vengeance et de torture. On doit cette réussite au talent des réalisateurs qui ont su trouver la bonne manière de traiter un tel sujet. Il faut aussi compter sur des personnages très bien composés et interprétés par des acteurs non moins excellents dans leurs rôles, chose indispensable pour porter une histoire aussi sensible.
Un film de Aharon Keshales, Navot Papushado
Avec : Guy Adler, Lior Ashkenazi, Dvir Benedek, Gur Bentwich