Alita : Battle Angel
Libre adaptation de Gunm, Alita : Battle Angel se distingue avant tout par une patte artistique somptueuse, tant dans l’environnement que dans les particularités physiques des cyborgs. Au-delà de cette débauche technique, le développement du contexte et les qualités portées au personnage principal tendent vers une intrigue soignée et un univers dense qui appellent à une suite après une telle fin ouverte.
Les adaptations live des mangas sont à double tranchant. D’une part, le matériau de base et la complexité sous-jacente de certaines œuvres sont souvent édulcorés pour toucher un plus large public. D’autre part, les univers dépeints font montre d’une certaine démesure qui semble bien difficile à retranscrire. On songe au projet avorté d’Akira, à la récente version de Ghost in the Shell ou encore à Gantz et 20th Century Boys pour rester dans le domaine de la science-fiction. Gunm fait office d’arlésienne dans le paysage cinématographique. Après plus de quinze ans de gestation, un développement supervisé par James Cameron et de multiples reports, Alita: Battle Angel parvient enfin à trouver le chemin des salles obscures.
Prenant place au XXVIe siècle, la vision dystopique de l’œuvre de Yukito Kishiro s’avère percutante à bien des égards. Le scénario écarte néanmoins la catastrophe d’une météorite pour se focaliser sur une guerre interplanétaire qui a précipité l’humanité au bord de l’extinction. Malgré l’apparence de bidonville d’Iron City, sorte de dernier refuge pour la «civilisation», et l’accumulation de déchets, le discours ne prête pas à la résonnance écologique à laquelle Avatar faisait allusion. Tout juste songe-t-on à Wall-E pour les premiers plans sur cette immense décharge à ciel ouvert. Il n’y a même pas ce ton sentencieux sur les conséquences de nos actes, juste un constat amer et où la survie du plus fort est bien loin de toutes ces considérations.
Ce n’est pas pour autant que le film de Robert Rodriguez est dénué de fond, bien au contraire. Seulement, le discours s’axe sur d’autres préoccupations. À commencer par une thématique très chère à James Cameron: le rapport de l’homme à la machine. La notion d’humanité, l’appréhension de ce qui définit la réalité et l’individu, la frontière entre le vivant et l’intelligence artificielle, l’asservissement du plus faible... Tous ces éléments sont constamment évoqués et remis en question, non sans une certaine habileté. On peut également s’attarder sur la relation père/fille où l’amour inconditionnel de l’un cède la place à la volonté d’émancipation de l’autre.
Il est vrai que quelques passages tendent à sombrer dans le pathos ou une forme de rébellion assez immature. Ce qui rend la trame, à tout le moins certains pans, assez prévisibles. De même, la romance naissante prend plus d’importance au fil de l’histoire. Pour autant, cette sensibilité n’altère en rien le rythme et lui confère une portée émotionnelle trop rare dans des productions de cet acabit. Toutefois, ces choix contrastent avec l’esprit originel du manga qui, pour rappel, se révélait bien plus mélancolique et nihiliste que le présent métrage. Hormis les puristes qui risquent de tiquer, notamment sur une violence moins abrupte, on parlera davantage de libre adaptation que d’une retranscription fidèle à l’œuvre papier.
D’un point de vue esthétique, Alita: Battle Angel est un enchantement visuel. L’environnement reste cohérent dans sa démesure et l’exploration d’Iron City. Cette dernière évoque une tour de Babel revisitée tant les influences ethniques sont nombreuses. La tonalité cyberpunk se teinte d’une connotation nippone, tandis que les rues étroites se rapprochent des souks du Maghreb. Loin de scinder la ville en quartier ou ghetto, ce traitement bénéficie d’une certaine continuité dans son amalgame des cultures. Quant à la ville de Zalem, elle possède un aspect organique, une sorte de parasite, qui assimile la production d’Iron City pour mieux la régurgiter sans considération aucune.
L’attente aura été longue pour poser les yeux sur Alita: Battle Angel. Si la tonalité spectaculaire des blockbusters est présente, le film de Robert Rodriguez se révèle plus ambitieux qu’aux premiers abords. Au-delà du simple divertissement parfaitement calibré et rythmé auquel le public est convié, l’intrigue se veut plus soignée qu’escomptée. Malgré quelques écueils assez maladroits et un dernier tiers assez précipité, l’histoire s’équilibre entre les états d’âme des protagonistes (humains, comme cyborgs) et l’exposition d’un XXVIe siècle peu enviable. On apprécie également le travail chorégraphique des combats, ainsi que la parfaite symbiose entre les acteurs et leurs pendants cybernétiques. Il en ressort une œuvre immersive d’une qualité artistique sans faille.
Un film de Robert Rodriguez
Avec : Rosa Salazar, Jennifer Connelly, Michelle Rodriguez, Christoph Waltz