Les dossiers de l'impossible

Le Dossier Roanoke

La disparition de ce que l’on a appelé la « Colonie Perdue » de Roanoke est l’un des plus fascinants mystères de l’histoire américaine.

Après plusieurs années d’explorations de la côte est d’Amérique du Nord, sous la supervision de Sir Walter Raleigh, décision est prise en 1587 d’y installer la toute première colonie anglaise. Une centaine de civils prend la mer. Parmi eux se trouve John White, un artiste qui a rapporté de nombreuses illustrations de la faune, de la flore et de la vie des indiens lors d’une précédente expédition. La flotte, qui a pour destination est la baie de Chesapeake, doit effectuer un détour par l’île de Roanoke afin d’y récupérer des hommes laissés en garnison un an plus tôt. Une fois sur place, ils n’y trouvent rien, ni personne, à l’exception d’un squelette qu’ils ne parviennent pas à identifier. Aucun signe ne laisse à penser qu’ils ont été massacrés ou obligés de quitter l’île.

En raison d’un conflit entre John White, gouverneur de la future colonie, et Simão Fernandez, commandant de la flotte, les colons n’ont pas d’autre choix que de s’établir sur Roanoke malgré un historique tumultueux entre les soldats anglais et les tribus locales.

Dans un premier temps, tout se passe bien. La petite colonie prospère et accueille le tout premier bébé anglais né en terre américaine, Virginia Dare, petite-fille de John White. Obligé de quitter Roanoke vers la fin de l’année 1587 afin d’y ramener plus de colons ainsi que du matériel, ce dernier n’y reviendra pourtant qu’en 1590, bloqué en Angleterre par la guerre navale contre l’Espagne.

Lorsqu’ils débarquent sur l’île, le 18 août 1590, ses hommes et lui ne trouvent plus aucune trace de la colonie. Hommes, femmes et enfants se sont volatilisés. Cependant, il n’y a aucune trace de violence, aucun corps enterré et les bâtiments ont été démontés avec soin, signe que le déménagement ne s’est pas déroulé dans la précipitation. Un mot est gravé sur l’un des poteaux de la clôture entourant le village : Croatoan. C’est le nom d’une île voisine, où il n’y a pourtant personne non plus. Les lettres CRO ont également été sculptées sur un arbre. Malgré de nombreuses recherches, White ne retrouvera pas la centaine de colons.

On sait peu de choses sur sa vie après l'échec de la colonie de Roanoke. Il semble avoir résidé en Irlande, vivant sur les propriétés de Sir Walter Raleigh pour qui il a continué à dessiner des cartes de terre. Le dernier document formellement lié à White est une lettre qu'il a écrite d'Irlande en 1593 à l'éditeur de ses estampes de Roanoke.

Douze ans s’écoulent avant que Sir Raleigh ne se décide à enquêter sur la disparition des colons. En 1602, une expédition prend la mer à destination de Roanoke. Malheureusement, peu avant leur arrivée à destination, le temps devient tellement mauvais qu’ils sont obligés de faire demi-tour. À son retour, Sir Raleigh est arrêté pour trahison, ce qui l’empêchera de financer d’autres missions de recherche.

Après l’établissement de la colonie de Jamestown en 1607, des efforts sont entrepris par les Anglais pour obtenir des informations auprès de la tribu indienne des Powhatans. Le célèbre capitaine John Smith apprend de la bouche du chef que celui-ci a donné aux guerriers de sa tribu l’ordre d’assassiner les colons de Roanoke. Cette information fut rapportée en Angleterre au printemps 1609, et le roi James, ainsi que le Conseil royal, furent alors convaincus que les indiens powhatans étaient réellement responsables de la disparition de la colonie perdue.

Quelques années plus tard, William Strachey, secrétaire de la colonie de Jamestown, obtient les mêmes informations du chef powhatan, qui rajoute néanmoins des détails supplémentaires à son histoire. D’après lui, les colons vivaient paisiblement au sein de la tribu des Chesapeakes depuis plus de vingt ans lorsqu’il a ordonné leur massacre. Il affirma avoir agi ainsi car ses prêtres lui avaient prédit qu’il serait renversé par des habitants de cette région. Néanmoins, aucune indice matériel n’étaya jamais ses dires, et aucun corps ne fut retrouvé.

Quand les huguenots français s’installèrent dans la région un siècle plus tard, ils remarquèrent que plusieurs membres de la tribu Tuscorora, des indigènes amicaux qui vivaient à l’ouest de Roanoke, possédaient des cheveux blonds et des yeux bleus, des caractéristiques plutôt inhabituelles chez des Indiens. Jamestown étant la colonie la plus proche et aucun mariage entre les Tuscaroras et les Britanniques n’ayant été recensé, ils en conclurent que certaines colons de Roanoke étaient leurs ancêtres.

L’histoire de la colonie perdue entre alors dans la légende et la culture populaire. Cependant, d’un point de vue scientifique, l'affaire ne plus fait parler d'elle jusqu'en 2012, date à laquelle des chercheurs remarquent un curieux détail sur une carte dessinée par John White qui représente l'est de la Caroline du Nord : un patch de papier masque l'image d'un fort sur la pointe de la baie d'Albemarle. Le fort en question se situe à quatre-vingts kilomètres à l'ouest de Roanoke. Le dessus du patch présente également les traits effacés d'un « fort dessiné avec une encre invisible », d'après les analystes.

Selon les spécialistes, White aurait voulu cacher l'existence de ce fort aux Espagnols, qui percevaient déjà la colonie de Roanoke comme une menace à leur domination territoriale sur l'Amérique du Nord. Ce lien relance l’intérêt scientifique pour la colonie perdue.

Désireuses d'établir enfin la vérité, plusieurs équipes d'archéologues se penchent alors sur la question. Très vite, une théorie ressort : celle d'une assimilation. Les colons, pour survivre alors qu'ils se pensaient abandonnés de la métropole, se seraient probablement réfugiés auprès des tribus locales. C'est en tout cas ce que laissent indiquer plusieurs fouilles, dont celles menées en janvier 2020 sur une falaise surplombant la baie d'Albermarle, là où la carte de White indiquait le fort. Une équipe de la First Colony Foundation y a mis au jour un véritable trésor de poteries anglaises, allemandes, françaises et espagnoles.

« Le nombre et la diversité des artefacts retrouvés montrent clairement que le site était habité par plusieurs membres de la colonie de Sir Walter Raleigh disparue en 1587 », indique l'archéologue et chef d'équipe Nick Liccketti.

Dans le même temps, un autre groupe mené par Mark Horton, archéologue à l'université de Bristol, mène des fouilles dans un ancien village amérindien sur l'actuelle île Hatteras, jadis Croatoan. Avec l'aide de bénévoles, les archéologues découvrent des artefacts européens, notamment une rapière du 16e siècle ainsi qu'une partie de fusil.

Si les deux découvertes sont confirmées, elles viendront soutenir la théorie selon laquelle les colons se sont séparés en deux groupes de survivants, voire plus, sans doute aidés par les Amérindiens avec lesquels ils avaient noué des liens étroits. Peut-être aussi recevrons-nous la confirmation que le groupe établi avec les Chesapeakes a été massacré par les Powhatans.

Affaire à suivre…

 

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