Regression
Avec le très éculé «inspiré d’une histoire vraie», nombre de longs-métrages suscitent à juste titre (ou pas) le buzz autour de leur histoire. Cette approche est surtout prisée par les faux documentaires, dont le format permet mieux d’entretenir le doute si la forme demeure crédible. Or, cet argument marketing peut, de temps à autre, réellement s’appuyer sur un ou plusieurs faits divers. Avec Regression, on plonge au début des années 1990 où une petite ville du Minnesota est ébranlée par des accusations de viols sur mineurs et des pratiques sectaires sur fond de satanisme. Ces six années d’absence marquent-elles le grand retour d’Alejandro Amenábar derrière la caméra ?
Après la très probante fresque historique d’Agora, le cinéaste revient à ses premières amours avec le thriller teinté de surnaturel. Au même titre que Les autres, l’intrigue joue sur les perceptions que les individus ressentent et véhiculent pour tenter de manipuler le spectateur. Le sujet principal, à savoir l’occultisme, offre une marge de manœuvre assez large pour se complaire tantôt dans l’avéré, tantôt dans l’indiscernable. D’ailleurs, on dénote d’excellentes idées narratives où Bruce Kenner (Ethan Hawke) revit les événements en explorant les lieux avec un casque vissé sur les oreilles pour écouter le témoignage de la victime. Progressivement, les mots prennent vie pour plonger vers le calvaire de cette dernière.
Les rêves, ou plutôt les cauchemars, sont également de bonnes pistes pour troubler les limites entre réel et fantasme. Pour autant, on demeure bel et bien dans le thriller sans franchir la limite du fantastique ou de l’horreur, même si la frontière est bien mince. Les investigations entretiennent le suspense et permettent une évolution nuancée entre réflexions, écoutes et déductions en fonction des révélations. Grâce à son atmosphère morne, presque désenchantée, Regression profite du savoir-faire d’Alejandro Amenábar pour mettre en lumière une histoire des plus sombre. Avec ses fondamentaux nihilistes et une base narrative finalement peu connue du grand public, l’on se dit qu’on tient là un film qui sort de l’ordinaire.
Mais l’excellent enrobage qui évolue vers un inexorable sentiment de paranoïa s’effondre face à un traitement douteux dans sa finalité. L’on retrouve des thématiques chères au cinéaste. Le pouvoir des images est-il suffisant pour être convaincu de l’existence d’un événement? Ici, ce ne sont pas les pellicules crasseuses des snuff-movies de Tesis qui nous interpelle, mais notre imaginaire qui fonctionne par le biais d’autosuggestion et de persuasions extérieures. On décèle également tout un discours sur les formes de croyances ou ce que l’on pense être comme tel, ainsi que l’influence des masses sur l’environnement et la réalité. Des références qu’on a déjà vu dans Les autres et Agora.
Il est vrai que ses sujets et les propos tenus sont toujours intéressants à développer. Or, pour le présent métrage, ils se révèlent beaucoup moins pertinents. Pourquoi? Car cela entraîne la déconstruction progressive de ce qui a été avancé durant les trois quarts du film. Des incohérences jaillissent de nulle part et la crédibilité de l’ensemble s’amoindrit considérablement. Le fait de choisir la régression, une sorte d’hypnose, pour recueillir les témoignages demande une certaine forme de croyance, toute scientifique qu’elle soit. Puis, l’on revient sur sa décision pour retourner sa veste et dénoncer la dangerosité de cette pratique. En somme, tout ce qui a été entrepris est vain.
D’autre part, le sujet se prête peu à de telles fluctuations. On a beau déjà avoir vu des histoires où l’on donne des traits d’adultes aux enfants, l’ambivalence qui se dégage de Regression est déplacée. Pire que cela, elle fournit une morale douteuse qui elle, se décharge de toute ambiguïté, afin d’inverser les rôles et de préserver la tranquillité des ménages. Ceux qui connaissent le sujet et les implications qu’il suscite comprendront sans mal pourquoi. En dénigrant l’aspect complotiste à petite échelle au bénéfice de raccourcis faciles (qui se destine à un dénouement qui l’est tout autant), l’intrigue rentre dans le rang sans offrir un minimum de preuves à ce qu’elle atteste. Il ne suffit pas de nier et d’évoquer cette même absence de preuves pour se convaincre du contraire.
Au final, Regression laisse un goût amer en travers de la gorge. Celui d’avoir eu entre les mains un excellent matériau pour forger un film différent, passablement angoissant et saisissant. Malgré la progression nuancée, la prestation des acteurs ou quelques trouvailles concernant la mise en scène, l’histoire se tire une balle dans le pied. Un sabotage incompréhensible dont le message principal se traduit par des propos nébuleux, voire équivoques, sur l’inceste et le viol sur mineur. Une morale à deux vitesses qui privilégient le «moindre mal» pour conforter les masses dans leur quotidien impavide. Un comble pour le réalisateur d’Agora qui ébranlait, en ce temps-là, les a priori et les idées reçues. Il en ressort un thriller moyen, pour ne pas dire terriblement décevant.
Un film de Alejandro Amenábar
Avec : Emma Watson, Ethan Hawke, David Thewlis, Devon Bostick