Monsters
Alors qu’une zone de quarantaine est délimitée entre le Mexique et les Etats-Unis suite à l’apparition d’une vie extraterrestre, Samantha et Andrew sont contraints de traverser la zone infectée pour rejoindre leur pays. Gareth Edwards fait partie de ces nouveaux réalisateurs qui disposent d’une vision précise et très marquée de leur métier. Avec Monsters (son premier long-métrage), il démontre un talent et un potentiel prometteur pour l’avenir. Tout comme un certain Neill Blomkamp, il choisit une approche très réaliste d’une invasion extraterrestre.
La route est jonchée des débris des batailles précédentes.
Toutefois, cette volonté d’implémenter un cadre d’état d’urgence avec la science-fiction ne doit pas nous faire oublier que les deux films se révèlent foncièrement différent et ne véhiculent pas le même message. Bien sûr, les remparts pour enclaver la « zone infectée », les hélicoptères qui tournoient autour de la zone de quarantaine et les reportages qui passent en boucle sur de petites télévisions contribuent à rapprocher les deux films. On ne peut le nier. Mais rapidement, Monsters montre une volonté de raconter l’histoire clandestine de deux américains qui tentent de regagner leur pays par tous les moyens. De fait, les « monstres » sont implantés dans l’histoire de manière sporadique. On devine leur présence, mais on ne les voit quasiment jamais. Une menace permanente une fois la frontière passée qui ramène les protagonistes à une réalité humble en oubliant une médiatisation outrancière et sujette à caution.
La barrière qui enclave la zone infectée. Le danger est encore loin.
Le récit prend alors des allures de road-movie initiatique où l’on vit dans la peur permanente de l’inconnu. Cette sensation de ne jamais être seul et toujours sur ses gardes ; le matraquage médiatique étant le principal responsable. Cette odyssée atypique se consacre essentiellement aux relations humaines et sociales qui jonchent l’histoire. De fait, le voyage s’apparente à une quête d’identité assez inattendue compte tenu de la thématique principale. Qui sommes-nous ? Pour répondre à cette question, il faut apprendre à connaître l’autre, si différent soit-il. Cela se vérifie entre le couple de protagonistes que rien ne semblait rapprocher, mais également avec les personnages secondaires. L’étranger avec qui l’on parle, le vendeur de billets peu scrupuleux avec qui l’on tente de marchander, les habitants du coin… Surprenant certes, mais jamais hors de propos ou en total décalage avec le reste de l’intrigue. L’ensemble constitue un résultat homogène des plus singuliers. Nul doute que Monsters divisera les foules ; cela plaira ou pas.
Difficile de naviguer dans les arbres.
A ce titre, le film dispose d’un casting sobre et convaincant qui parvient à créer toute l’empathie qu’il mérite chez le spectateur. Le spectaculaire n’est pas de mise dans le cas présent. Gareth Edwards opte pour un rythme posé via une mise en scène sans fioritures, mais maîtrisées du début à la fin. Par ailleurs, on se demande si cette peur de l’inconnu – la forme de vie étrangère qui colonise inopinément notre planète – est justifiée. Sont-ils doués d’intelligence ou n'est-ce qu’une espèce animale nuisible (encore un point qui le différencie de District 9 qui prêtait une conscience aux extra-terrestres) ? L’homme ne s’embarrasse pas de ces velléités et tire avant de s’interroger. On reconnaît là toute la finesse des américains ! Cette incompréhension peut être assimilée aux problèmes d’immigration. D’un côté la richesse et l’opulence des Etats-Unis, de l’autre la pauvreté et la détresse des mexicains que l’on préfère ignorer derrière un mur érigé dans ce seul et unique but.
La carte montre l’étendue de la contamination.
Non satisfait de nous fournir matière à réfléchir durant tout le récit, Monsters s’interroge sur notre appropriation de la nature et de ce que l’on considère comme « domestiqué » et ce qui ne peut l’être (donc rejeté en bloc en lui collant l’étiquette « danger »). En enclavant cette espèce, on découvre une nature foisonnante qui ne pâtit nullement de la présence de leur présence, contrairement à la nôtre qui ploie sous une insatiable volonté de conquête. En conséquence, qui est véritablement nuisible ? Les rôles s’inversent et nos considérations sommaires nous aveuglent encore un peu plus sur notre place au sein de la Terre. Avant tout, Monsters est un film posé, intelligent qui préfère tracer son sillon tranquillement et avec application dans le paysage cinématographique grâce à des procédés simples et une technique irréprochable (la photographie laisse pantois en magnifiant des paysages de désolation et une jungle luxuriante).
Les Etats-Unis vu de l’extérieur ou comment l’on ferme les yeux sur un problème.
Cela nous amène à un point réellement bluffant : l’esthétique du film. D’après la majorité des sources qui circulent sur le net, le film n’aurait bénéficié que d’un budget microscopique de 15 000 dollars. Au vu du résultat à l’écran, on est en droit de se poser pléthore de questions. Difficile d’imaginer pareil cas de figures pour un résultat aussi léché et épuré. Je le rappelle la photographie est somptueuse. Elle donne un rendu d’une telle justesse que l’on demeure extatique face à tant de beauté. N’oublions pas les effets spéciaux, peu nombreux, mais qui, là encore, s’avère digne des meilleures productions à plusieurs millions de dollars. Un travail exemplaire, que dis-je titanesque, compte tenu des moyens employés. J’émettrais toutefois une réserve sur le chiffre annoncé précédemment étant donné qu’il ne provient pas de la production elle-même. Quand bien même, on demeure admiratif par tant d’ingéniosité et de savoir-faire avec si peu de moyens employés.
La route n’est plus très longue.
Bref, le premier long-métrage de Gareth Edwards mérite sa réputation de productions qui sort de l’ordinaire. Même si la comparaison avec District 9 est facile et pas forcément justifiée en creusant l’analyse, on ressort de ce film avec une profonde interrogation sur nos véritables aspirations dans la vie, masquées par des attentes purement forgées dans des préceptes d’une société dite « civilisée » et qui se révèle en fin de compte de pure illusions destinées à flouer la réalité de la vie. Atypique, original et d’une indéniable force narrative, Monsters trouvera assurément son public. Cinéphile averti ou occasionnel, curieux ou spectateur avide de nouveautés, Monsters n’exclura qu’un public réfractaire au non-spectaculaire et à la contemplation. Le genre de films dont on ressort grandit.
Un film de Gareth Edwards
Avec : Whitney Able, Scoot McNairy, Mario Zuniga Benavides, Annalee Jefferies