Les Désastreuses Aventures des orphelins Baudelaire
Déjà portée à l’écran en 2004 par Brad Silberling (Casper, La cité des anges...), Les désastreuses aventures des orphelins Baudelaire est une série de romans jeunesse qui compte treize tomes. Malgré toutes ses qualités et son incontestable originalité, le film ne laissait entrevoir qu’une partie des pérégrinations des enfants Baudelaire, principalement les trois premiers ouvrages. Pour des raisons évidentes, le choix d’adapter les livres sous forme de série correspond davantage à un traitement plus fidèle et précis de l’œuvre de base. Retrouve-t-on l’atmosphère si particulière de l’univers de Lemony Snicketdans cette version 2017?
Portrait de famille décalé ?
Étant donné que treize années séparent le film de la série et qu’un nouvel élan s’avère indispensable, on reprend l’intrigue dès le départ. D’une part, cela permet de redécouvrir les excellentes bases de l’histoire. D’autre part, faire fi du métrage de 2004 (et de son échec commercial) offre l’opportunité de revisiter chaque livre en deux épisodes. Ces derniers fonctionnant par pair, on appréhende d’une manière plus fouillée chacun des récits concernés. En dépit des nombreux avertissements qui parsèment la série («une histoire qui commence mal et finit mal») et son générique magnifiquement désuet, Les désastreuses aventures des orphelins Baudelaire suscitent la curiosité et l’enthousiasme sur bien des points.
En premier lieu, on est frappé par sa patte esthétique qui n’est pas sans rappeler les réalisations de Tim Burton. L’utilisation des contrastes met en valeur certains éléments, comme lorsque la grisaille du premier plan sur la plage tranche avec les couleurs vives du tramway et des fleurs. La manipulation de la géométrie et l’architecture anarchique des décors donnent l’impression d’évoluer dans des dessins d’enfants qui auraient pris vie dans l’imagination de leur auteur. Certains angles figés dans l’espace et le temps où la simple fenêtre qui laisse entrevoir une pleine lune fantasmée dans les baraquements de la scierie tendent à confirmer un parti pris graphique aussi particulier qu’inventif.
La ressemblance est pourtant frappante !
D’ailleurs, ces deux adjectifs peuvent définir la série dans son ensemble, tant elle recèle une richesse propre à rendre fade n’importe quelle production actuelle. Si l’on demeure parfaitement évasif sur la période à laquelle se déroulent les événements, c’est pour mieux transgresser les frontières. Certains éléments évoquent le XIXème siècle, tandis que d’autres sont inhérents au siècle suivant, ainsi qu’au XXIème siècle. Ces contradictions et ces anachronismes parfaitement insensés concourent à appuyer une atmosphère déjà bien décalée. En ce sens, la bande-son y joue un rôle prépondérant. Ses airs d’accordéon et de piano rappellent les cabarets d’antan.
Mais ce sont dans des passages ubuesques et l’extravagance de ses propos que la série excelle. Là où l’intrigue demeure accessible à tous, elle dissimule une lecture approfondie pour un public plus âgé. Les jeux de mots, l’explication de certains termes par une définition singulière et pertinente, les quiproquos qui foisonnent dans les échanges, le comique involontaire des situations coincé entre l’humour noir et le fantasque... Autant de points qui amusent et réjouissent au fil des épisodes. La finesse des dialogues met à contribution l’intelligence des spectateurs tout en leur proposant quelques réparties bien senties et inattendues.
Un certain Winnifred Coiffeur...
On retrouve cette approche rocambolesque dans la caractérisation des personnages. Ici, on inverse les rôles où les enfants se révèlent plus matures et sensés que les adultes. Ces derniers étant passablement puérils, capricieux et vénaux. Autrement dit, de doux imbéciles qui n’hésitent pas à multiplier les frasques et les bévues au grand dam des orphelins Baudelaire. Là encore, ce genre de situations appuie l’exagération générale pour mieux décontenancer et provoquer quelques interrogations sur ce qui est le plus accablant. La cupidité du comte Olaf ou la bêtise aveuglante du banquier Poe? Un véritable tour de force soutenue par un casting irréprochable aussi créatif que crédible pour donner vie aux protagonistes.
Au final, l’œuvre de Lemony Snicket trouve ici son pendant télévisuel. La série produite par Netflix concilie l’aspect littéraire de l’histoire (la présence du narrateur et auteur n’y est pas étrangère) à une distraction dynamique et immersive pour les plus jeunes. Une mise en scène sans faille, une esthétique hétéroclite, des situations burlesques... Les désastreuses aventures des orphelins Baudelaire amuse par son côté farfelu. Un divertissement de façade qui distille l’opposition entre le monde des enfants et celui des adultes; une discordance qui se solde par une morale sous-jacente des plus subtile. Derrière la sinistrose ambiante, une histoire tragi-comique audacieuse, un rien excentrique.
Saison 2 : 8/10
Saison 3 : 7/10