La Maison du Diable
Attention: Cette analyse du film contient quelques "spoilers". A lire de préférence après avoir vu le film.
La maison du diable de Robert Wise est adaptée du roman de Shirley Jackson The haunting of Hill house. Le film met en scène Eléanore Vance, trentenaire célibataire qui vient de passer onze années comme garde-malade de sa vieille mère acariâtre et tyrannique. Eléanore, qui vit maintenant chez sa sœur, n'aspire plus qu'à s'émanciper. Occasion lui en est alors donnée par le docteur John Markway, anthropologiste qui invite Eléanore à participer avec deux autres personnes à une expérience surnaturelle dans une vieille maison hantée : Hill House.
Le castel devient alors pour Eléanore l'objet de tous ses désirs : elle y trouve un foyer, elle qui n'a jamais eu de " chez-soi "; des amis, elle qui n'a connu jusque-là que d'oppressantes relations de famille; une existence aventureuse, elle qui a sondé les abîmes de l'ennui.
Hélas, le castel est aussi pour Eléanore un objet de peur…Nous le savons, l'isolement (celui du castel et de ses occupants) engendre chez les individus une introspection démesurée, un dangereux narcissisme qui amplifient les problèmes personnels (cf par exemple Shining de Stanley Kubrick), et qui, ici, mèneront Eléanore à sa perte. Celle-ci en effet se sent responsable de la mort de sa mère et le poids de la culpabilité pèse de plus en plus lourd sur ses épaules. Les évènements surnaturels du castel ne sont en fait que les manifestations de cette mauvaise conscience: les coups de canons qui retentissent la nuit ne sont que la sur-amplification des derniers coups frappés au mur de la chambre d'Eléanore par sa mère agonisante, ces appels auxquelles Eléanore ne répondit pas...délibérément ou pas…(A noter ici, le parallèle fait avec l'histoire d'Abigail et de sa dame de compagnie). Les démons sont d'autant plus virulents que leur proie est isolée et donc en butte à l'introspection (ainsi, dans Shining, la maison œuvre à détruire tous les moyens de communication vers l'extérieur). On comprend alors mieux les implications de la remarque du professeur après que lui et le neveu se sont retrouvés attirés à l'extérieur du castel par un bruit suspect: " il semblerait que la maison cherche à nous séparer. " En somme, c'est d'elle-même qu'Eléanore a peur, et on peut remarquer l'omniprésence des miroirs tout le long du film : le narcissisme étouffant est un thème important du film. A peine arrivée au château, Eléanore sursaute en apercevant son reflet dans un miroir et se dit en elle-même " avoue-le, tu as peur de ton ombre."
Ce sont ces deux éléments- sentiment croissant de culpabilité et désir tenace de vivre et d'aimer- qui donnent la clé du film et qui permettent d'en comprendre l'épilogue: Suite à sa tentative de suicide, le professeur décide de faire partir Eléanore du castel mais celle-ci ne veut pas partir car elle a enfin trouvé sa place quelque part et de son côté la maison ne laisse pas Eléanore partir, la culpabilité ne pouvant quitter Eléanore…que dans la mort. Et le docteur Markway de conclure à la mort d'Eléanore: Hill House a finalement obtenu ce qu'elle voulait. En effet, Eléanore s'est auto-détruit, sa mauvaise conscience, représenté par le castel, l'ayant finalement tué, comme elle avait tué la dame de compagnie d'Abigail.
En somme, un film remarquable par la complexité du scénario, l'atmosphère sinistre et les moments de terreur pure qui jalonnent le film avec l'utilisation réussie du son comme matériau de l'horreur, et la mise en scène très maîtrisée qui prend le parti de suggérer plus que de montrer. Bref, pour l'amateur de fantastique, c'est un chef d'œuvre à voir et à revoir.
Un film de Robert Wise
Avec : Julie Harris, Richard Johnson, Claire Bloom, Russ Tamblyn