L'impasse aux violences
Le thème des serial-killers et les actes de meurtres en série du XIXe siècle sont difficilement dissociables de Jack l’Éventreur. Toutefois, l’on en oublierait d’autres faits divers bien moins connus et médiatisés. L’affaire des torses de la Tamise fait écho à celle évoquée précédemment, mais l’imaginaire collectif est également hanté par les exactions de William Burke et William Hare. Les deux hommes exploitaient le filon du trafic de cadavres auprès des scientifiques et des médecins pour monétiser leurs crimes. Une motivation curieusement contemporaine qui, au-delà des assassinats, se pare d’un cynisme aussi cruel qu’implacable.
Un métier à réveiller les morts !
D’ailleurs, l’histoire a inspiré quelques autres métrages passés à la postérité, comme Le récupérateur de cadavres. Pour le présent film, John Gilling s’attache à fournir une reconstitution réaliste des faits. On place l’intrigue à Édimbourg. On conserve les patronymes des véritables intervenants et surtout on évolue dans les années1820. À ce titre, l’atmosphère qui émane de la capitale écossaise n’est pas sans rappeler le travail effectué pour Jack l’Éventreur, la version de Robert S. Baker et Monty Berman. Quand bien même, on rencontre un écart de plus de 60 ans. De ruelles sombres en tavernes mal fréquentées, la reconstitution d’époque pour les décors intérieurs et extérieurs permet de développer l’aspect glauque de l’affaire sans se départir de son côté sociétal.
Là aussi, on découvre une approche pour le moins nihiliste sur les rapports sociaux et la hiérarchisation de l’individu dans la pyramide des castes. Entre des soirées de beuveries où l’on noie sa détresse dans l’alcool, les nouveaux arrivants et les laissés-pour-compte, le terreau fertile des quartiers malfamés d’Édimbourg offre les moyens et les occasions pour commettre des crimes en toute impunité. Plus que l’opportunisme, la misère ambiante étant bien souvent l’élément déclencheur. Et c’est sur ce point que L’impasse aux violences s’avère particulièrement percutant. Le fait de déshumaniser les corps inertes, mais aussi les victimes encore vivantes.
Comment ça, il est pas frais mon cadavre ?
Avant même de monnayer leurs forfaits d’une manière plus ou moins légale, mais indéniablement astucieuse, les deux tueurs ont tôt fait de remiser les personnes à une main d’œuvre exploitable. La chair étant un produit à valeur pécuniaire, comme un autre. On notera que les assassinats résultent de manipulations préméditées avec soin pour s’adapter aux besoins que manifestent les victimes. Ceux-ci étant la partie apparente, voire déformés, de ceux exprimés par les notables. Comprenez les médecins. Un lit pour passer la nuit, une bouteille d’alcool ou encore la promesse d’une récompense... Les idées de réalisation ne manquent pas et le mobile, toujours similaire de prime abord, revêt bien des visages pour traduire la cupidité des deux antagonistes.
Mais tout cela répond à un besoin, pour ne pas dire à une utilitétoute pragmatique: faire progresser la recherche médicale et la science. Au-delà des considérations éthiques et religieuses que cela suscite chez les différents intervenants, l’on met en exergue les motivations d’un docteur peu porté sur les relations humaines. Sinistre ironie où nécessité fait loi, ses propos trouvent un écho aux meurtres perpétrés. «Ils sont plus utiles morts que vivants». Les responsabilités sont d’autant plus partagées que l’aveuglement volontaire du docteur Knox est une motivation bienséante pour lui permettre de poursuivre ses travaux. Dénonciation qui atteint son point d’orgue avec une finalité troublante et particulièrement subtile dans les aboutissants.
Les soirées de beuverie ne sont pas forcément pour tout le monde...
De l’opportunisme aux comportements amoraux, L’impasse aux violences se révèle bien plus que la retranscription fidèle d’un fait divers. Fort d’une reconstitution soignée et d’une surenchère progressive dans la brutalité des crimes, le film de John Gilling dresse un portrait sans concessions de la société et de ce qu’elle génère comme dérives. Notamment les déviances du consumérisme avant l’heure, thème repris par la suite par Orange mécanique et certains métrages traitant des snuffs movies. Avant-gardiste dans sa manière d’exprimer et de justifier le mal, cette production Amicus se révèle particulièrement maîtrisée tant dans son évolution narrative que dans les propos avancés. Un film sombre et pessimiste qui, encore aujourd’hui, résonne avec une grande justesse.
Un film de John Gilling
Avec : Peter Cushing, Donald Pleasence, June Laverick, George Rose