Invisible Man
Depuis l’œuvre d’H.G. Wells, l’invisibilité est devenue un thème récurrent dans la science-fiction, ainsi que dans le fantastique. En suggérant l’impunité de méfaits, elle est généralement considérée comme le vecteur d’une morale vacillante. De nombreuses adaptations ont vu le jour au fil des décennies, transposant le mythe avec plus ou moins de succès dans le contexte du roman ou un cadre contemporain auxdites réalisations. L’une des dernières occurrences en la matière, et particulièrement réussies dans son approche, demeure Hollow Man de Paul Verhoeven. L’on tenait alors un métrage intense et bien mené pour susciter l’angoisse inhérente à l’invisibilité de l’antagoniste. En l’occurrence, The Invisible Man semble s’inscrire dans un registre similaire.
Cette nouvelle version ancre son sujet dans un réalisme délétère, non pas symptomatique de notre époque, mais d’une propension tout humaine à la violence conjugale. Que celle-ci soit physique ou psychologique, elle se traduit par la maltraitance de la femme à travers un comportement ultra-possessif. À l’image de l’entame, le propos n’est pas sans rappeler des thrillers marquants dans le domaine, comme Plus jamais ou Les Nuits avec mon ennemi. En l’occurrence, la demeure proche de la mer fait directement écho au métrage de Joseph Ruben. La narration se montre appliquée pour présenter les faits. Ce qui permet de mieux concevoir la détresse du personnage principal.
La suite se révèle foncièrement intéressante à appréhender, car elle joue sur la peur latente et toute justifiée de Cecilia. Les troubles se manifestent par de l’agoraphobie, de la dépression, de la fatigue nerveuse et autres perturbations mentales qui suggèrent de la schizophrénie. En cela, la première partie se montre très habile pour susciter le doute. N’est-ce pas l’angoisse de Cecilia qui s’exprime à travers des phénomènes en apparence anodins ? La sensation d’être épié dans une pièce vide, les plaques de cuisson qui s’emballe, un flacon de médicaments retrouvé inopinément… Sous couvert d’une manipulation pernicieuse, autant d’éléments qui entretiennent un suspense des plus tendu.
On pourrait même rester perplexe face à certains évènements dont la perception biaisée de Cecilia vient contredire le point de vue des autres intervenants. S’agit-il d’hallucinations, d’une approche purement subjective ? En cela, la réalisation se montre suggestive dans sa manière de présenter les séquences. Le cadrage excentré n’hésite pas à emprunter des angles choisis avec soin pour laisser à penser à la surveillance omnipotente d’une présence invisible, au sens propre dans ces circonstances. On peut également s’attarder sur un recul ou des mouvements subtils afin d’accentuer le voyeurisme du procédé. Une démarche simple, ingénieuse et efficace.
De même, la gestion et l’appropriation des espaces affichent une grande maîtrise. Au vu des qualités de la mise en scène précédemment évoquées, les lieux alternent entre l’exiguïté des pièces, les environnements ouverts ou même les angles morts. En cela, cet aspect se rapproche davantage des films d’épouvante. À ce titre, certaines manifestations ne sont pas sans rappeler des phénomènes de hantise et de poltergeist, notamment l’exploration du grenier ou l’épisode de la gifle dans la chambre. L’homme invisible tend d’ailleurs à se dépersonnaliser avec presque aucun échange verbal et des bruitages à mi-chemin entre bestialité d’un animal et froideur d’une entité robotique.
Cependant, tout n’est pas parfait. À commencer par quelques incohérences scénaristiques et comportementales qui altèrent la crédibilité de certaines séquences. La présence du chien est également sujette à caution, tout comme le fait de tuer ou d’épargner sans réelles distinctions les vigiles de l’hôpital. Si les descriptions sont particulièrement méticuleuses, on peut aussi émettre de modestes réserves sur un manque de dynamisme propre à certains passages dans la première partie. En ce sens, le montage fait parfois s’enchaîner des séquences sans grande fluidité dans la succession des évènements.
Pour autant, The Invisible Man s’avance comme une version contemporaine réussie d’une histoire intemporelle et aisément transposable dans différents contextes. Hormis quelques scories formelles, comme de menues incohérences comportementales et scénaristiques, le film de Leigh Whannell se distingue par son atmosphère oppressante et sa réalisation inspirée. Dans des circonstances différentes avec des objectifs tout aussi dissemblables, l’exploration et la présentation des espaces évoquent un traitement similaire à Don’t Breathe ; l’aspect huis clos écarté, cela dit. La connotation psychologique joue un rôle fondamental afin de mieux suggérer l’angoisse d’une présence hostile. Une approche que l’on peut également considérer comme l’allégorie de l’emprise du conjoint sur sa femme. Une adaptation âpre et empathique qui parvient à concilier deux sujets apparemment aux antipodes.
Un film de Leigh Whannell
Avec : Elisabeth Moss, Oliver Jackson-Cohen, Aldis Hodge, Zara Michales