Freaks: la Monstrueuse Parade
Une trapéziste, figure de proue d'une troupe de cirque, fait du charme à un nain dans le but d'hériter de sa fortune. Mais sa cupidité fait vite l'objet de soupçons de la part des autres monstres du cirque ambulant...
Dans les années 30, alors que la Universal terrifie les spectateurs avec ces Dracula et autres Frankenstein, la MGM peine à trouver des sujets pour rivaliser dans le domaine du fantastique avec l'autre firme phare d'Hollywood. La MGM engage alors le réalisateur de Dracula, Tod Browning, dans le but de se lancer à son tour dans ce genre à succès. Repérant une nouvelle de Clarence Aaron Robbins, auteur qu'il avait déjà adapté en 1925 avec le Club des Trois, Browning et son équipe se lancent dans un film évoquant donc le cas des monstres de foire. Sujet délicat car, entre drame, leçon d'humanisme et voyeurisme exacerbé, il n'y a parfois qu'un pas. Mais Browning délaissera rapidement l'aspect spectaculaire du thème des êtres difformes pour travailler sur l'autre côté de ces "monstres" : leur humanité !
Déjà, désireux d'être réaliste, Browning engage de vrais créatures pour son film : siamoises, nains, sans oublier l'homme tronc et d'autres curiosités, toutes plus touchantes les unes que les autres. Au milieu des jongleurs, des clowns et des trapézistes, ces figures aussi troublantes qu'émouvantes ne peuvent que marquer au fil de scènes cultes telles celle dans les bois, où les monstres s'amusent en toute innocence, ainsi que celle du mariage. Néanmoins, ce cri du coeur et cet appel à l'ouverture d'esprit et à la générosité, à l'heure où les monstres de foire sont interdits dans la plupart des pays, ne se fera pas sans mal. Tout d'abord, durant le tournage, la collaboration entre l'équipe technique du film et les acteurs ne se fera pas sans heurts, retardant le tournage et amplifiant le budget.
Le film sera aussi coupé de près d'un tiers de sa longueur initiale (environ 90 minutes), à cause de comités de censure déjà aussi intolérants dans les années 30 qu'aujourd'hui, péréclitant la carrière d'un cinéaste dont on critiquera l'aspect écoeurant et effroyable de son film, alors qu'il s'agit probablement du plus bel hymne à la différence sorti sur grand écran. Mais la réaction négative des producteurs, des critiques et des spectateurs de l'époque (le film est un échec commercial et critique à sa sortie) confirme bien toute l'opacité de l'être humain devant quelque chose qui l'effraie ou qui sort de la norme imposée par notre société. Car Freaks n'est pas un film d'épouvante, il est avant tout un drame fantastique et humain, dans lequel Browning nous dévoile la gentillesse et surtout les difficultés quotidiennes de ces personnes différentes physiquement, mais pas moralement. Cinquante ans environ après sa sortie, Freaks connaîtra enfin le succès qu'il mérite amplement, étant enfin reconnu come un témoignage poignant de la cruauté humaine, à l'heure où David Lynch accouchera de l'autre film culte du genre, le déchirant Elephant Man. Mais revenons en à la Monstrueuse Parade et à son final, d'une incroyable beauté, titanesque et crépusculaire, à l'image de l'orage qui sert de toile de fond à l'épilogue le plus poignant de toute l'histoire du Septième Art. Alors que les roulottes luttent pour avancer contre les éléments, la trapéziste et son complice, l'homme fort du cirque, oeuvrent pour éliminer ceux qui pourraint leur nuire.
Mais, comme indiqué en guise de prologue, si un monstre de foire se sent malheureux ou en danger, ce sont tous les autres qui se sentent meurtris. Dès lors, le sort offert aux deux êtres les plus sordides du film (le cupide couple d'amants normaux) ne fait plus l'ombre d'un doute. Le sort réservé à l'épouse du nain peut paraître aujourd'hui quelque peu désuet (il s'agit de la scène truquée du film), mais l'originalité de cette punition est en rapport avec le caractère unique de ce métrage, virulent pamphlet contre la bêtise et la cruauté de l'Humanité face à la différence. A n'en pas douter, trois quarts de siècles après sa sortie, Freaks peut se targuer de faire partie, à tout jamais, des plus beaux trésors du patrimoine cinématographique.
Un film de Tod Browning
Avec : Wallace Ford, Leila Hyams, Olga Baclanova, Roscoe Ates