Frayeurs
Réalisateur majeur du cinéma transalpin, Lucio Fulci a fourni certains des efforts les plus remarquables (et parfois méconnus) dans le domaine horrifique des années 1970 et 1980. Avec L’Enfer des zombies, il offrait la réponse européenne au Zombie de Romero. À bien des égards, Frayeurs s’avance comme un tournant dans sa carrière. Film charnière à la croisée des cultures et second volet de ce que l’on peut considérer comme sa propre trilogie dédiée aux morts-vivants, il démontre son talent de metteur en scène. Chef d’orchestre de sa symphonie macabre, il n’a pas son pareil pour imposer une atmosphère morbide au sein de son récit.
Bienvenue au cimetière de Dunwich, votre demeure pour l'éternité...
À sa manière, Lucio Fulci exploite le mythe du mort-vivant sous un angle plus radical et incisif que les productions américaines. Sans doute est-ce dû à ce côté charnel peu ragoûtant qui met l’accès sur la décomposition inéluctable des corps. Cette symbolique se retrouve à de nombreuses reprises, y compris sous le prisme d’un « pourrissement » psychologique de la communauté et des certitudes rationnelles. Une dégradation progressive qui apporte à la figure du zombie un aspect surnaturel. Preuve en est avec ces déplacements impossibles qui s’affranchissent des contraintes spatiales et même des obstacles.
Ces phénomènes paranormaux sont d’ailleurs caution à quelques tortures purement subjectives où il suffit (peut-être) de fermer les yeux pour éliminer la menace. Est-ce une simple affaire d’hystérie collective, comme le laisse à penser le comportement du psychologue ? Ce cauchemar éveillé n’est-il que la résultante de peurs profondément enfouies ? Comme le suggère le titre du film, l’histoire explore nombre d’entre elles, parfois toutes personnelles ; d’autres, jugées universelles. C’est notamment le cas de l’enterrement vivant ou de la damnation éternelle. Sorte de blasphème outrancier, le suicide du prêtre en est d’ailleurs la cause et le point d’orgue.
Une vraie tête de déterrée !
La violence graphique se veut récurrente, presque entêtante, tant elle se retrouve dans plusieurs séquences. Elle se manifeste parfois à la limite du grotesque, comme cette hypnose où les larmes de sang précèdent au vomissement des entrailles de façon littérale. Cette régurgitation est également significative dans le sens où elle constitue une subtile analogie du rejet du dogme religieux et de la morale. Là encore, le lien avec le mort-vivant tend à rendre l’ensemble cohérent. En effet, cela renvoie de manière explicite à la putréfaction des cadavres, ainsi qu’à cette boue mêlée de sang, grouillante d’asticots.
Bestioles primaires que l’on retrouve dans une scène évocatrice du climat délétère qui imprègne Frayeurs. Auréolé de la bande-son hypnotique de Fabio Frizzi, qui n’est pas sans rappeler le travail du groupe The Goblins, le récit emprunte aussi quelques thématiques propres à l’univers de Lovecraft. Au-delà du nom de la ville (Dunwich), on songe à cet archaïsme latent qui hante les rues et les mentalités afin de mieux dissimuler de sombres secrets. Le monde souterrain s’apparente également à une sorte de purgatoire, coincé entre la vie et la mort, où toutes les exactions et les horreurs sont possibles. Un reflet déformé de ce que l’on considère comme la réalité…
Certains n'ont pas attendu pour manger les pissenlits par la racine
Avec Frayeurs, Lucio Fulci présente sa propre vision de l’enfer. Un lieu macabre, sombre et nihiliste où la folie précède à la souffrance. L’histoire peut paraître simpliste de prime abord. Elle recèle néanmoins une force évocatrice rare qui magnifie son sujet initial dans des méandres insoupçonnables (et tentaculaires ?) à la limite de ce qu’un esprit humain peut concevoir. En cela, l’ambiance est parfaitement représentative d’influences élogieuses telles que l’œuvre de Lovecraft. Déstabilisante, oppressante, l’intrigue se veut une plongée sans retour dans des ténèbres qui ne connaissent pas de fin ni de début. Une fable puissante sur la notion de péché et l’interprétation de la damnation.
Un film de Lucio Fulci
Avec : Giovanni Lombardo Radice, Christopher George, Catriona MacColl, Carlo De Mejo