Death Tube
Mettre en corrélation le rapport à l’image et les déviances de l’esprit humain est une préoccupation particulièrement présente depuis les années 1970. Le sujet malsain s’est notamment distingué en s’attardant sur les snuff movies, puis sur les faux documentaire ou found-footage. Avec l’essor d’internet au XXIe siècle, le voyeurisme prend une autre dimension, plus pernicieuse, car il n’est plus nécessaire de se rendre dans des marchés noirs ou des milieux undergrounds. Il suffit d’un écran et d’une connexion pour avoir accès à des mises en scène d’assassinats gores. Derrière un titre qui détourne la célèbre chaîne de vidéos, Death Tube semble être une œuvre aussi sarcastique que dérangeante.
Ça commence bien !
Et les premiers instants laissent augurer d’une atmosphère glauque au possible. Le rendu pictural poisseux et aléatoire, une victime en gros plan que l’on décapite progressivement. D’emblée, on s’attarde sur la véracité des images et le rapport qu’elles suggèrent avec le spectateur. On instaure le doute pour savoir si le trucage est avéré ou inexistant. Indirectement, on renvoie ainsi au mythe du snuff movie où la réalisation est épurée pour qu’il ne subsiste qu’un aspect brut. L’entame est assez judicieuse pour avancer le voyeurisme sous l’angle confortable de l’écran d’ordinateur. Le sentiment d’impunité et l’anonymat tout relatif qu’offre le web sont mis en avant.
Par la suite, on apprécie également le fait d’imposer des défis où l’absurde et le grotesque sont de circonstances. Tour à tour enfantins ou d’une difficulté improbable (rédaction du préambule de la constitution japonaise), ces « jeux » sont assimilés à des épreuves où l’échec est synonyme de mort. Là encore, la dénonciation avec cynisme de la débilité latente sur le web est aussi présente. La progression s’apparente à Saw, Cube ou, pour rester dans le domaine des œuvres nippones, au manga Doubt. Pour autant, l’intrigue n’est pas tant travaillée que cela. Bien que certaines pistes essayent de justifier l’implication des protagonistes dans pareille situation, les explications avancées demeurent sporadiques, voire incohérentes.
Quand on parle de bestiole jaune nipponne, il n'y a pas que Pikachu
Si le fond est foncièrement intéressant, on regrette néanmoins que la forme n’emprunte pas le même chemin. Le côté glauque est vite remisé à deux séquences aussi explicites que violentes, puis le film n’a plus rien à offrir en matière d’hémoglobine ou de brutalité. Certes, il y a bien une mort par empoisonnement, une pendaison (mal fichue) ou encore une victime exécutée à l’aide d’une arme à feu. Mais cela reste trop conventionnel et surtout trop en retrait par rapport à ce que laissait augurer l’introduction. Est-ce dû à la polémique liée à Grotesque ? Toujours est-il que l’enrobage déviant est beaucoup moins subversif qu’escompté.
L’on note également de gros problèmes de rythme qui étirent plus que de rigueur la trame entre les épreuves et les instants de répit entre chaque réussite (ou défaite, pour certains d’entre eux). De fait, on se retrouve souvent dans l’attente et pas assez dans l’appréhension. Au lieu de rendre le calvaire plus éprouvant, ce procédé l’atténue. De même, l’aspect paranoïaque et compétitif envers les différents « candidats » n’est pas assez développé pour créer un climat de tension. À cela s’ajoute une interprétation calamiteuse où les situations extrêmes tiennent du ridicule et non d’un état émotionnel stressant, appuyant l’urgence du contexte.
Encore un fan de cosplay qui s'implique trop dans son rôle... ou pas assez
Au final, Death Tube propose un résultat en demi-teinte. Dans ce qu’il souhaite véhiculer et dénoncer, le film de Yohei Fukuda reste intéressant. On songe notamment au voyeurisme, à l’impact des NTIC et surtout au meurtre et à la torture par procuration. En l’occurrence, cette dernière se révèle plus psychologique que physique. Ce qui paraît hors contexte pour traiter du torture-porn d’une manière perturbante. On regrette également de trop nombreuses errances narratives, une impasse faite sur les causes (la violence n’est pas si gratuite que cela) et l’ambiance tendue d’un tel cadre. Cela sans compter sur un casting proche de l’amateurisme. De bonnes idées, mais une mise en œuvre laborieuse et maladroite qui convainc à moitié.
Un film de Yôhei Fukuda
Avec : Matsuda Shôichi, Kaoru Wataru, Atsushi Ishino, Sanae Tsukamoto