Aux Yeux des Vivants
Passé quasiment inaperçu lors de sa sortie en salle à cause d’une distribution restreinte, Aux Yeux des Vivants est le troisième long-métrage du duo de réalisateurs formé par Alexandre Bustillo et Julien Maury. Après deux premiers essais réussis et originaux, A l’intérieur (2007) et Livide (2011), dans lesquels les cinéastes imposaient leurs styles avec talent, respectivement à travers le gore et le film de vampire, Aux Yeux des Vivants apparaît comme un hommage à certains films américains des années 1970.
Ce qui est original dans Aux Yeux des Vivants, c’est le fait que les héros sont des enfants. Cela ne change pas grand-chose au déroulement du récit par rapport à s’ils avaient été adolescents par exemple, si ce n’est que la baby-sitter n’est plus le personnage principal (Halloween) mais un personnage secondaire - ce qui provoque un changement de point de vue mais pas d’inversion fondamentale. En revanche, ce qui amène une nouvelle dimension dans la mise en scène de la violence, c’est le fait que des enfants la subissent, parfois jusqu’à en mourir. Même si ces meurtres ne sont pas toujours représentés directement mais suggérés, ils n’en restent pas moins troublant. Aux Yeux des Vivants n’est pas le premier film à montrer des morts d’enfants et il fait justement référence à un autre film à l’avoir fait bien avant lui : c’est la famille de dégénérés qui renvoie à celle de La Colline a des Yeux. Comme dans le film de Wes Craven, le mal provient d’une altération, cette fois issue d’un produit chimique et non de radiations, qui provoque la monstruosité d’un enfant devenu un dangereux prédateur. La ressemblance physique entre ce personnage et Pluton de La Colline a des Yeux ne laisse aucun doute sur ce point. La référence au film de Wes Craven est combinée à une deuxième qui renvoie à un autre film de la même époque : Massacre à la Tronçonneuse. En effet, « Black Woods », le village abandonné où vit la famille criminelle de Aux Yeux des Vivants, a l’apparence d’un village de l’ouest américain avec ses maisons en bois, sa vieille église et le portique d’entrée typique des ranchs texans. De plus, le tueur porte un masque de clown en caoutchouc déchiqueté qui lui donne une allure comparable à celle de Leatherface.
Au-delà de ces références cinéphiliques aux classiques du genre de prédilection des deux cinéastes, on retrouve également une part d’autoréférentialité à leur propre œuvre. C’est notamment à travers la séquence de l’intrusion du tueur dans la maison du troisième enfant que ressurgit la chasse en huit-clos d’A l’intérieur. Cette grande maison isolée, à l’architecture contemporaine et aux intérieurs blancs, est l’occasion pour les cinéastes de rejouer le jeu du chat et de la souris de leur premier film. C’est aussi lors de la séquence d’ouverture que les deux personnages principaux d’A l’intérieur reprennent corps à travers celui interprété par Béatrice Dalle, possédée par son rôle, qui livre là une performance mémorable par son intensité. Elle est cette fois le bourreau et la victime en même temps, c’est-à-dire que, pour mettre un terme à sa grossesse monstrueuse, elle s’éventre avec un couteau de cuisine après avoir tenté d’assassiner son propre enfant.
La violence inouïe de cet acte est emblématique de la maîtrise dont font preuve les deux cinéastes : les nombreux meurtres du film alternent entre représentation frontale et suggestion. L’alternance entre ces deux modes d’expressions est justifiée par le déroulement narratif qui nécessite tantôt une violence brute de décoffrage, tantôt une mise en scène plus subtile de l’horreur. La réalisation est très soignée et démontre une nouvelle fois la capacité du duo à raconter des histoires dans lesquelles on se laisse porter. Mention spéciale à la bande originale qui remplit très bien son rôle.
En abordant des thématiques difficiles tout en se faisant plaisir à rendre hommage aux films qui ont formés leur jeunesse, Alexandre Bustillo et Julien Maury parviennent à donner naissance à un film qui touche à beaucoup de choses très différentes, jusqu’au clin d’œil à The Goonies (les enfants héros, le bateau pirate!). On pourrait à la rigueur, faire le reproche aux deux français de trop vouloir coller au modèle américain, par exemple avec les plaques de G.I. que le père de la famille des méchants porte autour du cou ou la sirène du véhicule de gendarmerie qui sonne comme celle des voitures de police américaines. Cependant, il faut croire que ces détails participent à la dimension référentielle du film qui a fait mouche auprès des producteurs américains, puisque Alexandre Bustillo et Julien Maury sont annoncés pour la réalisation d’une préquelle de Massacre à la Tronçonneuse !
Un film de Julien Maury, Alexandre Bustillo
Avec : Anne Marivin, Francis Renaud, Théo Fernandez, Zacharie Chasseriaud