The Canal
Dans le domaine horrifique, comme dans d’autres genres, il reste très délicat de concilier deux approches aux antipodes. L’une démonstrative, gore et violente. La seconde insidieuse, lancinante et malsaine. Généralement, cela nous donne des productions foncièrement différentes jouant soit sur l’outrancier, soit sur l’aspect dérangeant d’un concept. L’amalgame entre ces deux traitements demeure assez rare, car cela sous-tend une maîtrise évidente des deux facettes de l’horreur et donc, une solide expérience en matière de réalisation. Plus rares sont encore les réussites, a fortiori pour un jeune cinéaste. Sans être une révolution en la matière, The Canal pourrait bien redéfinir certains a priori relatifs aux films d’épouvante et aux thrillers horrifiques.
Vous êtes prévenu...
À la manière des étudiants impatients qui occupent l’auditoire de la première séquence, le spectateur est mis en condition par un exposé sur la notion de perception et d’interprétation en rapport avec des films; que ces derniers soient amateurs ou professionnels. Le fait d’évoquer les revenants comme un principe malléable - les métrages du début XXe montrent des personnes décédées et sont donc intrinsèquement des fantômes - se penche sur le rapport aux images. Selon nos croyances, notre culture et notre éducation, notre point de vue s’en retrouve influencé pour ne pas dire biaisé par nos idées reçues. Cette exposition reste assez courte et néanmoins convaincante dans une optique de préparation.
Seulement, ce discours s’estompe quelque peu avec une transition temporelle censée faire évoluer les protagonistes et, par la même, leur situation. Certes, il est toujours question d’une suggestion appuyée, mais le rythme lancinant atténue la portée des propos. Cela passe notamment par des plans énigmatiques qui tendent à interloquer ou à déranger la zone de confort psychologique du spectateur. La bande-son obsédante, la descente progressive dans les tourments du personnage principal, les manifestations plus ou moins percutantes... L’ensemble de ces éléments concourt à instaurer une atmosphère pesante, lugubre, pour ne pas dire sordide.
Un passé glauque destiné à se répéter ?
On songe aux crimes s’étant déroulés dans la demeure. Leur sauvagerie est teintée de mysticisme avec quelques sombres histoires de sacrifices humains et de rituels occultes. On ne parlera pas forcément de satanisme, mais la symbolique ésotérique s’en rapproche grandement. De même, le canal peut être assimilé au fleuve de la mort et ainsi nourrir l’analogie relative à l’eau. Il possède donc une résonnance particulière dans le concept de l’au-delà ou de survivance de l’âme après la mort. L’austérité des lieux et l’urbanisation passablement vétuste accentuent ce sentiment d’abandon et de solitude qui découle de la situation de David, père trompé, esseulée et en proie à la folie.
En plus de jouer sur la notion de hantise avec une certaine habileté, les doutes surgissent quand la perception du protagoniste s’en retrouve faussée. S’agit-il d’hallucinations, d’un cas de possession ou d’une schizophrénie avancée? Certes, il est facile de démêler le vrai du faux si l’on est familier de ce type d’exercice. Pour autant, ce traitement offre une subtilité à même d’appuyer la morbidité ambiante. Si l’on reste toujours sur une progression timorée, la tension psychologique, elle, ne cesse d’évoluer vers les recoins les plus sombres de notre esprit. Les sujets exploités tels que l’adultère sont avancés avec un pessimisme et une affliction presque palpables. D’aucuns diraient réalistes.
Quelques sombres dess(e)ins
Au final, The Canal s’avère étonnant dans son approche et la maturité de son propos. Mélangeant avec habileté le suggestif et le démonstratif, il en ressort une expérience troublanteoù la banalité des faits se heurtent à une confrontation paranormale. Au vu de certains procédés, on ne peut s’empêcher d’évoquer Sinister pour le visionnage de films anciens. Cet élément reste néanmoins plus en retrait que pour son modèle. La folie croissante du personnage principal donne lieu à une ambiance délétère, presque pernicieuse dans ce qu’elle sous-tend. Tout aussi ambiguë, la méthode est similaire à L’échelle de Jacob. La banalité de la situation et la détresse de David accentuent l’empathie et, par conséquent, l’identification et l’implication du spectateur. Il en résulte un film éprouvant et déstabilisant à bien des égards.
Un film de Ivan Kavanagh
Avec : Antonia Campbell-Hughes, Rupert Evans, Steve Oram, Hannah Hoekstra