Festival de Gérardmer 2011

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La grande fête de Gérardmer s’achève et le bilan est diablement bon, grâce à une compétition officielle de qualité et un palmarès d’une grande sagacité. Alors que l’édition 2010 avait célébré La porte, film allemand lisse et consensuel (heureusement sauvé par l’interprétation de Mads Mikkelsen), Dario Argento et son équipe ont eu l’audace d’accorder cette année le Grand Prix à Bedevilled, premier long métrage du réalisateur sud-coréen Jang Cheol-So. Deux longs métrages se sont partagé le Prix du Jury : Ne nous jugez pas, de Jorge Michel Grau, et The loved ones de Sean Byrne. Enfin I saw the devil, nouveau film du coréen Kim Jee-Woon, a pour sa part reçu trois récompenses : le Prix de la Critique, le Prix du Public, et le Prix du Jury Jeunes.

La plupart des œuvres en compétition ne pouvaient soutenir la comparaison avec les deux longs-métrages coréens. Tourné selon le même dispositif formel que le Rec de Ballaguero et l’incontournable Diary of the Dead de Romero, The Troll Hunter, d’André Ovredal, est une sorte de documentaire fictif mené par des étudiants qui, caméra à l’épaule, suivent, sur le vif, le quotidien d’un chasseur de trolls norvégien. Ovredal construit son film sur un mélange très discutable: d’un côté le dispositif de la caméra à l’épaule, lequel permet l’immersion la plus directe dans la terreur, de l’autre un humour fondé sur une distance critique, quasi ironique, avec le sujet traité. Le spectateur se trouve donc projeté dans une horreur prétendument réelle (les trolls existent et vivent parmi nous) sur un mode humoristique. Or, comment rire, au second degré, de scènes horrifiques qui ne doivent leur crédibilité qu’à leur prise au premier degré? The Troll Hunter relève davantage de la farce que du film d’horreur immersif.

Mirages est le premier film du metteur en scène marocain Talal Selhami. Film fantastique à dimension sociale, Mirages est un film marocain d’une grande honnêteté, mais tributaire d’un budget ridicule (moins de 70.000 euros). Narrant les tribulations de quatre candidats à un poste de direction dans une multinationale implantée au Maroc, qui, à la suite d’un accident de voiture, vont devoir unir leurs forces pour sortir indemnes du désert marocain, Mirages est un film dont il faut louer la bravoure. A l’heure où le cinéma de genre s’épuise, la plupart du temps, à reprendre tous les clichés inhérents à chacun des genres investis sans même essayer d’en questionner la substance ou d’en développer les variations possibles, Mirages tente un croisement entre le film social et le film fantastique. Cependant, bien que le réalisateur fasse preuve de bonne volonté, le résultat est mitigé. Mirages est une œuvre bancale, dont les bonnes intentions ne permettent pas de compenser la grande maladresse.

La Casa Muda, premier film colombien de Gustavo Hernandez, se concentre sur le personnage de Laura. Cette jeune femme s’installe, en compagnie de son père, dans une maison à la campagne. Le soir même de leur installation, Laura entend des bruits à l’étage et découvre le cadavre de son père. Prise de panique, elle va tout faire pour quitter l’endroit. Filmé en un seul plan-séquence de 78 minutes, La Casa Muda est un film qui reprend le dispositif de la caméra subjective, initié par le Projet Blair Witch, lequel permet au spectateur de se mettre à la place du personnage à l’écran. Si la première partie du film est assez terrifiante, démontrant combien l’atmosphère d’une maison inhabitée et le seul recours à la suggestion peuvent suffire à installer un climat de terreur, la seconde partie, construite sur un twist lourd et malhabile (décidément, le cinéma de genre hispanique, à l’image de L'orphelinat, de Juan Antonio Bayona, est actuellement «gangrené» par la thématique du deuil familial), vient détruire le projet initial du long-métrage. A vouloir dépasser le simple tour de force - construire un film de terreur sur un seul plan séquence - Gustavo Hernandez finit par se tromper.

Ne nous jugez pas, Prix de la Critique, est le premier film du mexicain Jorge Michel Grau. Un homme meurt en pleine rue, laissant une femme et trois enfants sans ressources. Les membres de cette famille sont cannibales et dévorent leurs proies au cours de cérémonies particulièrement macabres. Pour survivre, le frère aîné va devoir suivre les traces de son père et apprendre à chasser. Le metteur en scène, Jorge Michel Grau, tout en respectant certaines conventions propres au genre horrifique, s’attarde sur la misère sociale au Mexique. Le fils aîné, en chassant dans les rues de la ville, découvre la face obscure du monde de la nuit à Mexico, tandis que sa mère, afin de capturer une proie, se prostitue. A priori, la volonté du metteur en scène est d’utiliser certaines perspectives offertes par le genre pour insister sur la situation sociale alarmante en Amérique latine. Cependant, et c’est bien là que le film ne tient pas ses promesses, le cinéaste ne parvient pas à approfondir les éléments qu’il distille au fur et à mesure du récit. Pourquoi le père de famille était-il horloger et collectionnait-il les montres? Pourquoi le rituel de cannibalisme est-il consubstantiel à la famille? Les zones d’ombre ne font pas office d’effets de suggestion; au contraire, ils soulignent les carences du scénario. Cependant, nonobstant ces défauts, Ne nous jugez pas reste une première oeuvre subtile, à la fois étude sociale et récit sur une forme de cannibalisme imposée par une situation de désespérance.

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