Voir la fiche complète du film : The Witch (Robert Eggers - 2015)

The Witch

Par le biais de la suggestion et d’une narration patiente, The Witch revisite le mythe de la sorcière avec efficacité. Des propos véhiculés à la qualité de la mise en scène, ce premier film impose une vision nuancée et déstabilisante soutenue par une atmosphère étrange, un rien troublante.

Publié le 9 Avril 2017 par Dante_1984Voir la fiche de The Witch
9

Si la sorcellerie a nourri nombre de fantasmes à travers les siècles, le cinéma a tôt fait de s’en approprier les grandes lignes. Sous l’angle de l’horreur, du drame, de la comédie ou du fantastique, le thème s’est décliné sous toutes les coutures, quitte parfois à sombrer dans la médiocrité. Pour autant, contes et légendes possèdent une aura particulière propre à véhiculer une peur primale qui, au-delà de toute compréhension, nous heurte à l’inexplicable, l’inconnu. La frontière entre superstitions, croyances religieuses et rationalité demeure pour le moins ténue, surtout au XVIIe siècle, époque à laquelle se déroule The Witch, la première réalisation de Robert Eggers.

L'arrivée en terre promise...

Le choix de cette période historique n’est guère anodin pour développer le contexte. Alors que les États-Unis ne sont encore qu’à leurs balbutiements colonialistes, on découvre un territoire vierge parsemé de communautés repliées sur elles-mêmes. Mais ce n’est pas au sein de l’une d’entre elles que le cinéaste aborde sa problématique. Il délaisse tout effet de groupe et de folie collective pour mieux isoler ses protagonistes. Car avant tout, The Witch est l’histoire d’un exil. Une renonciation au bout du monde des croyances religieuses et de la volonté humaine. En cela, le présent métrage s’avance comme une sorte de prélude au procès des sorcières de Salem.

L’idée est de dépeindre la sorcellerie avec une approche similaire à un drame historique, comme avait pu le faire Les sorcières de Salem de Raymond Rouleau ou, plus récemment, La chasse aux sorcières. La progression demeure très posée, parfois contemplative pour mieux susciter le malaise. Ce n’est pas pour autant que le film soit dépourvu d’intensité. C’est d’ailleurs tout le contraire avec une atmosphère développée avec un sens évident de la réalisation pour tirer le meilleur parti de l’environnement et du potentiel narratif. Ici, ce n’est pas la civilisation qui est mise à mal par une critique acerbe, mais le puritanisme et le fondamentalisme religieux qui confèrent à l’aveuglement.

Mais où donc est passé le grand méchant loup ?

Valeur de refuge et d’espoir, la religion est aussi le vecteur de doutes qui trouvent une certaine constance dans le film de Robert Eggers. En ce sens, la présence de la sorcière est rarement explicite. Tout se joue sur la suggestion, quelques symboles propres au paganisme (le bouc noir reste le plus manifeste), le comportement anormal de certains animaux, sans oublier la forêt impénétrable. Rien n’est clairement établi si ce n’est cette sensation malsaine qui émane des lieux. À ce titre, poser l’action à la lisière de la forêt accentue le caractère hostile et vulnérable qui s’en dégage, comme pour souligner l’acte intrusif de la famille et, par extension, celui de l’homme.

Durant la majeure partie du métrage, on serait même enclin à penser que la sorcière est un prétexte pour voir imploser les relations intrafamiliales. En l’occurrence, il n’est nul besoin d’une menace extérieure pour qu’ils s’affrontent. Là encore, le traitement se focalise sur la psychologie des personnages pour mieux briser les repères et les valeurs. Si l’intrigue pouvait délaisser tout côté surnaturel, elle n’en oublie pas ses ambitions de départ et propose un final déstabilisant qui se rapproche davantage du mythe originel. La base même du film se fonde sur des sources réelles et des légendes pour étayer sa propre histoire.

Philippe le Noir et ses acolytes

Résumer The Witch à un simple métrage horrifique réussi serait réducteur tant le travail de fond y est dense et nécessaire pour apprécier l’ambiance lourde et pesante à sa juste valeur. Le scénario privilégie les mécanismes de la suggestion et de la peur psychologique pour mieux manipuler le spectateur. En soi, il s’agit également d’une manière pour mieux comprendre les causes qui ont amené à des dérives, comme l’affaire de Salem ou les procès en sorcellerie en Europe. Bande-son oppressante, reconstitution historique irréprochable, intrigue dotée de plusieurs niveaux de lecture... The Witch est une œuvre complète et ambitieuse. Si sa lenteur peut rebuter un public amateur de sensations fortes, le film n’en demeure pas moins incontournable, privilégiant un traitement pragmatique et ô combien réaliste pour un sujet qui en manque cruellement.

A propos de l'auteur : Dante_1984
Portrait de Dante_1984

J'ai découvert le site en 2008 et j'ai été immédiatement séduit par l'opportunité de participer à la vie d'un site qui a pour objectif de faire vivre le cinéma de genre. J'ai commencé par ajouter des fiches. Puis, j'ai souhaité faire partager mes dernières découvertes en laissant des avis sur les films que je voyais.

Autres critiques

La Cabane dans les Bois
Quand on est passionné par les films d'horreur en tout genre, en passant par les plus mauvais de la boîte Asylum jusqu’au pur chef d'oeuvre, on aime être décontenancé et surtout on apprécie les grosses prises de risque de la part de certains réalisateurs. La surprise joue un rôle très important, comme la peur dans un film d'horreur et quand on commence à en voir des tonnes, on...
Dark Hour, The
**Attention, cette critiques contient quelques spoilers.** Une poignée de survivants d'une guerre bactériologique considérable se terre dans des sous-terrains envahis par divers dangers. Le cinéma de genre ibérique se porte bien. Après quelques tentatives érotico-fantastiques assez fantaisistes durant les années 60-70 (cf les filmographies de Jesus Franco et de Jacinto Molina), le cinéma espagnol...
Frenzy
Ces dernières années, peu de films de requins sont parvenus à se distinguer. Le mot d’ordre général étant de faire n’importe quoi avec peu de moyens et une absence totale de talent (et de scrupules), on peut compter sur les doigts d’une main les métrages potables de la décennie2010. Il est vrai qu’il est tellement plus simple de laisser libre cours à la bêtise que...
L'Inspecteur Harry
Au début des années 70, l'inspecteur Harry Callahan tente de mettre un terme aux agissements d'un psychopathe, surnommé Scorpio. Inspiré du célèbre Tueur du Zodiaque , l'histoire de ce premier Dirty Harry est un tournant décisif dans la carrière de Clint Eastwood. En 1971, l'acteur vient de fêter ses quarante ans en réalisant son premier long-métrage, un thriller inventif et...
TV Show
Attention, cette critique contient des spoilers. Pour les besoins d'une expérience scientifique très bien rémunérée, dix personnes de divers horizons acceptent d'être enfermés durant une semaine dans un bunker, filmés 24 heures sur 24. Très vite, ils se rendent compte qu'ils doivent respecter certaines règles, sous peine d'être "éliminés" ! Avec le succès fulgurant de Ring et autres Dark Water ,...
The Witch
Réalisateur:
Sortie France:
Durée:
92 min
7.58333
Moyenne : 7.6 (12 votes)

LA SORCIÈRE (VF The Witch) - Bande-annonce française

Devinez le film par sa tagline :

Beware The Hunchback! A freak of nature whose crimes go beyond your wildest terrors!

Thématiques