The Bunny Game
Il est parfois des films qui succèdent à la rumeur et prévalent avant tout pour l'aura qui s'en dégage plutôt que sur une pseudo-vision artistique. Le cinéma en possède quelques-uns, mais pour rester dans les années 2000, nous pouvons citer A serbian film. À la hauteur de sa réputation, il en émanait un profond malaise. À la fois malsain, scabreux et exempt de toutes contraintes morales et éthiques, l'on s'interrogeait jusqu'où l'on pouvait repousser les limites de ce qui pouvait être montré ou non. À cela, la banalisation de la violence gratuite (et extrême), du sexe et de la dépravation permettait d'accoucher d'une pellicule qui ne pouvait laisser indifférent. Qu'en est-il de ce Bunny game ?
Petit film indépendant tourné avec trois bouts de ficelles, The bunny game est le premier long-métrage d'Adam Rehmeier. L'homme officie en tant que réalisateur, scénariste, compositeur, monteur, producteur et caméraman. Malgré ses dires et sa volonté à ne pas s'entourer d'une équipe de tournage, cette polyvalence dissimule un budget malingre et un désir mégalomaniaque de tout contrôler. Certes, cela offre une ½uvre très personnelle, mais minimaliste sur le plan technique et, ô combien, brouillonne et inconstante dans tous les domaines.
Nous ne remettrons pas en cause le choix du noir et blanc. Ce procédé a déjà fait ses preuves pour conférer à certaines productions une atmosphère sombre et angoissante. Il est vrai que cela accentue le côté malsain de l'histoire. Encore faille-t-il trouver l'histoire ! Le pitch est assez simple : un routier séquestre une prostituée dans son camion et lui fait subir les pires sévices imaginables. De l'aveu même des « scénaristes », l'intrigue est un amalgame de plusieurs synopsis. À cela, on apprend qu'il n'y avait aucun script avant le tournage ! Les acteurs étaient en roue libre et le réalisateur se contentait de lister des « choses à faire » durant la journée.
Une méthode de travail plus que discutable et, surtout, qui se ressent dans le résultat final. En effet, les plans muets (ou plutôt amorphes) se succèdent dans un désordre anarchique. On comprend aisément que le cinéaste lui-même ne sait pas où il met les pieds. Entre une narration décousue et un montage épileptique, les séquences ne racontent rien, hormis la déchéance d'une paumée junkie et alcoolique aux prises avec un maniaque de la pire espèce. Cette absence de fil conducteur trahit un amateurisme flagrant au service d'un opportunisme mal placé. En somme, on veut faire comme... mais on se prend un 38 tonnes en pleine figure !
Autre aspect qui déconcerte : les tortures. Toujours d'après les dires des acteurs et du réalisateur, tout est vrai dans le film, exception faite de la drogue et l'alcool. Si cela va dans le sens de sa réputation douteuse, on peut s'interroger sur la véracité de cette allégation. Certaines séquences étant d'une dangerosité extrême pour la vie (et la bonne santé physique et psychologique) des interprètes. Le marquage au fer rouge, les combats aux couteaux, les coups et surtout l'asphyxie via des sacs en plastique sont des pratiques qui nécessitent un encadrement médical rapproché. Rappelons-le encore une fois, ce n'était pas le cas.
En ce sens, cet acharnement pervers joue autant sur la destruction physique que psychologique. La déshumanisation de la femme et son exploitation dans la forme la plus basse, la plus dégradante, confère à un sadisme dérangeant. Là encore, l'actrice principale aurait été enlevée par deux fois et subit ce genre de sévices. À cela, elle aurait été torturée durant cinq jours pour les besoins du tournage. Difficile d'y accorder du crédit, tant le traumatisme doit demeurer ancré chez la personne. Vouloir revivre un tel choc interroge sur l'état psychique de l'interprète, même s'il s’agit d'une fiction (puisque « tout est vrai »). À noter l'absence totale d'effets gores ou d'hémoglobine pour accentuer le « réalisme » de l'entreprise.
Il reste à se pencher sur le cadre. En soi, le désert est intéressant, mais nullement exploité. Le sentiment de perdition ou de l'échelle démesurée de l'environnement demeure au stade de l'anecdotique. L’'action se déroulant principalement dans la remorque du camion, l'endroit s'avère seulement notable dans la symbolique qu'il véhicule. Pas comme les acteurs (qui sont censés jouer leur propre rôle) qui, eux, ne possèdent aucune empathie et, donc, qui ne la suscitent pas. Entre des cris déchirants, des rires à percer les tympans ou des sons étouffés, ils ne sont pas submergés par les échanges verbaux, hormis des insultes et une fellation en guise d'amuse-gueules (introduction de Bunny).
Sexe, drogue et violence. Tel est le mantra qui habite cette pellicule outrancière. Face à l'absence de scénario, l'improvisation occupe le devant de la scène. Il en découle des longueurs permanentes où l'on voit se succéder une pléthore de plans inutiles sur fond de musiques lancinantes et irritantes. Choquant, The bunny game l'est à n’en pas douter de par son côté malsain, gratuit et méphitique. Mais là où A serbian film possédait au moins une histoire (si ténue soit-elle) et disposait d'un encadrement technique sérieux, le film d'Adam Rehmeier se révèle brouillon, mal fichu et indigeste tant la caméra épileptique s'agite en tout sens. On ne parvient que trop difficilement à saisir l'action pour un résultat nul. Un snuff movie (in)avoué qui ne raconte rien et ennuie plus qu'il n'interpelle.
Note : Les anecdotes de tournage sont issues de la genèse du projet (16 min) disponible dans les bonus du DVD et du Blu-ray.
Un film de Adam Rehmeier
Avec : Rodleen Getsic, Jeff Renfro, Gregg Gilmore, Norwood Fisher