Soudain l'été dernier
Sous des angles et des points de vue différents, le thème de la folie a toujours intrigué les auteurs et les cinéastes. Toutefois, le regard que l’on porte sur le terme de maladie mentale a nettement évolué au cours de ces dernières décennies. Quand on évoquait une humeur mélancolique au XIXe siècle et pendant une bonne partie du XXe siècle, on parle désormais de dépression. Les raisons, parfois les prétextes, pour les internements n’étaient pas les mêmes qu’aujourd’hui. Lorsqu’on s’attarde dans le domaine de la psychiatrie des années1950, on a l’impression de se pencher sur la période moyenâgeuse de cette spécialité. Une époque où la lobotomie était considérée comme d’une opération chirurgicale anodine...
Soudain l’été dernier n’est autre que l’adaptation cinématographique de la pièce éponyme écrite par Tennessee Williams. Œuvre contemporaine toujours d’actualité puisqu’elle fait encore l’objet de représentations sur les planches. D’emblée, la découverte du métrage évoque le théâtre sur bien des aspects. À commencer par un cadre relativement restreint qui joue de minimalisme dans les lieux. On se contente de la propriété de la famille Venable et de l’hôpital psychiatrique. Une épure volontaire qui se concentre plutôt sur la qualité narrative et l’intelligence de son scénario. Et cela passe surtout par des dialogues d’une grande subtilité.
La place prépondérante qui leur est allouée démontre une évolution mesurée où la découverte progressive des faits s’effectue à rebours. On assiste alors à une psychanalyse fouillée qui s’assimile à une régression dans des souvenirs traumatiques profondément enfouis. L’objectif étant de juger de la pertinence d’une lobotomie sur la personne de Catherine, archétype de la femme fatale au comportement ambigu interprété de main de maître par Elizabeth Taylor. Et c’est par le biais de ce traitement abstrait que l’histoire se dévoile sous un éclairage nouveau. Les velléités des uns se heurtent à la cupidité des autres, tandis qu’un triangle amoureux avoué à demi-mot se forme au gré des confrontations.
Montgomery Clift s’impose comme un psychiatre moins froid et arrogant qu’aux premiers abords. D’ailleurs, son rôle de médecin s’efface progressivement pour laisser place à celui d’un enquêteur, d’un confident, voire d’un sauveur. Ce dernier étant particulièrement intéressant quand on sait qu’Elizabeth Taylor elle-même lui a sauvé la vie lors d’un accident de voiture à quelques mètres de sa propriété. À l’écran, les rôles sont inversés et augurent déjà pour l’acteur l’incarnation de Sigmund Freud dans Freud, passions secrètes. Le présent film a également une résonnance particulière dans l’évocation de l’homosexualité. Considérée à l’époque comme une tare ou une maladie mentale, Montgomery Clift avait aussi du mal à l’assumer.
Car il n’est pas forcément question de définir les traits de la folie, mais d’appréhender les apparences et les clichés inhérents à la différence; que celle-ci soit fondée sur l’orientation sexuelle ou la santé psychologique. Notons que l’homosexualité était alors assimilée à une pathologie nécessitant un traitement ou un internement, souvent les deux. L’accent ne sera pas mis sur le fait de dénoncer les pratiques de l’époque, les dérives ou leur barbarie, mais de jouer sur l’inéluctabilité de l’opération en devenir. Le choix d’entretenir le doute sur une personne saine d’esprit (ou non) et d’approfondir la peur psychologique de la principale intéressée génère une tension suffisante au sein de l’intrigue.
Au final, Soudain l’été dernier s’impose comme une œuvre dramatique d’une grande justesse. En brassant les thématiques de la folie et de l’homosexualité, le film de Joseph L. Mankiewicz présente une lecture lucide des mœurs bienséantes de l’après-guerre. L’avant-gardisme des propos explique sans doute le scandale suscité à l’époque, aussi bien pour la pièce que pour le présent métrage. Encore aujourd’hui, la profondeur du développement résonne avec toujours autant de justesse. Qu’il s’agisse de juger de la folie d’une personne ou de se complaire dans le déni, de peur du regard des autres. En cela, Soudain l’été dernier pose une ultime et ironique réflexion sur la moralité des actes commis au nom d’un défunt. Est-il préférable d’oblitérer la liberté d’un individu pour sauver les apparences ou de se laisser sombrer dans le désarroi jusqu’à la folie ?
Un film de Joseph L. Mankiewicz
Avec : Elizabeth Taylor, Katharine Hepburn, Montgomery Clift, Albert Dekker