Ouija Shark
Comme si la réalité n’était pas suffisante pour nous confirmer que la bêtise humaine est sans limites, on distingue une frange cinématographique qui prend un malin plaisir à nous le rappeler. Le genre d’incursions Z qui laissent pantois par un tel dénuement non de moyens, mais de talent et d’intérêt à l’existence de pareils blasphèmes du septième art. Dans cette mouvance, la sharksploitation occupe une place de choix pour d’innombrables tâcherons souhaitant exprimer leurs misérables visions d’un sous-genre autant opportuniste que fallacieux dans ses intentions. Sous le pseudonyme de Scott Patrick, Brett Kelly revient alors à la charge après des essais aussi déplorables qu’effroyables : Raiders of the Lost Shark et Jurassic Shark.
La planche venue de la mer...
À vrai dire, on distingue aisément la patte poisseuse de ce « cinéaste » autoproclamé. Un grain d’image qui ferait passer Les Feux de l’Amour pour un chef d’œuvre visuel. Un jeu de caméras qui en oublie les bases mêmes des techniques de mise en scène. Un casting tout droit sorti d’une pochette surprise… Le ton est donné et l’on ne fait guère les choses à moitié pour les saccager dès les premières secondes. Après l’inutilité du générique d’introduction (5 minutes), on reprend des plans, des situations et des lieux similaires aux bévues précitées. La plage, une potiche empotée, un plan d’eau saumâtre et une planche ouija en guise d’élément perturbateur, du moins dans la masse grise qui s’assimile au cerveau des scénaristes.
D’ailleurs, faut-il un cerveau pour deux scénaristes ou deux cerveaux pour un scénariste afin de commettre pareille imbécillité ? La question a le mérite d’être posée et demeure l’unique interrogation qui vaille le détour. La suite, elle, est connue de tous dans son déroulement, mais pas forcément dans son exposition. On se moque éperdument de l’intrigue ou du semblant d’histoire qui, en dépit, de sa simplicité intrinsèque est incapable d’enchaîner deux scènes avec un minimum de cohérence. On ne compte plus les faux raccords ou les invraisemblances qui déferlent plus rapidement qu’un raz-de-marée. Cela sans oublier ces clichés ambulants, pas même en mesure d’aligner une répartie avec l’intonation ou l’expression adéquate.
La bête qui sort de terre...
Mais cela n’est rien lorsqu’on constate que le massacre en devenir se mue dans un délire halluciné où le fantôme d’un requin hante les bas-fonds d’une piscine ou les contrées hospitalières de la forêt à proximité ! Une ombre plane entre les arbres, sans doute un morceau de papier découpé maladroitement et colorié avec un feutre bon marché. Pour les visions spectrales, on nous inflige un squale en pâte à modeler croisé avec un Playmobil. Mention spéciale aux animations où la mâchoire inférieure de l’animal s’agite avec un « réalisme » effarant. À cela s’ajoutent des effets psychédéliques du plus mauvais goût, notamment lors de l’invocation fortuite du requin.
Ouija Shark se ponctue de ces instants méphitiques où l’on s’interroge sur sa santé mentale, si l’on a bien remarqué ce que les images dégorgent comme immondices graphiques. On songe à ces courses poursuites en vue subjective où l’animal fonce dans un tourbillon de magmas ectoplasmiques, le tout dans un silence aussi assourdissant que cocasse. Les morts sont vite enchaînées et pour le moins ratées. Merci au montage catastrophique de mettre fin au calvaire au plus vite. Énième irruption non identifiée dans le ciel : un combat entre l’esprit du requin et celui d’un personnage secondaire, sorte d’amalgame poussif et terrifiant entre Dr Strange et Dragon Ball. Un véritable cas d’école…
Un nouvel modèle de Playmobil à l'échelle 1/1
Au final, Ouija Shark relève d’une autre dimension. Si l’on a pu constater que les précédentes frasques de son géniteur feraient passer les productions SyFy et Asylum pour de bons films, la présente incursion les place au rang de chef d’œuvre. Certains peuvent apprécier le côté artisanal des séries Z. Pour autant, celles-ci démontrent qu’il ne suffit pas de tenir une caméra pour être réalisateur. Du poivrot sur le point de se soulager, puis agressé dans une cage d’escalier par le squale, jusqu’à cet affrontement astral d’une connerie sans nom, les exemples d’incongruité fourmillent en tous sens. Dans un état second, l’exercice pourrait paraître amusant. Il n’en demeure pas moins infâme, voire abject.
Un film de Brett Kelly
Avec : Steph Goodwin, Kylie Gough, Robin Hodge, John Migliore