Oblivion
Alors que l'humanité a subi une guerre nucléaire, elle s'est exilée sur Titan, le satellite de Saturne. Sur Terre, Jack Harper et sa compagne Victoria surveillent l'étendue des dégâts en espérant un jour prochain pouvoir rejoindre les leurs sur Titan...
Pour son premier long-métrage, Joseph Kosinski s'était attelé à la suite de Tron, rien que ça. Bien que les critiques l'aient décrié pour on ne sait trop quelle raison (comme d'habitude), il en ressortait une séquelle parvenant à faire la jonction avec le premier opus et les trois décennies qui les séparaient. Accompagné d'une bande-son hypnotique, le résultat s'avérait léché et intelligent dans les propos avancés, notamment sur la déliquescence de notre société et sa déshumanisation. Aussi, le nouveau projet du réalisateur a de quoi de susciter la plus vive des curiosités.
Chouette résidence secondaire.
On pourrait penser qu'Oblivion est la suite spirituelle, inavouée, de Tron - L'héritage. Notre civilisation a fait face à une guerre nucléaire et une invasion extraterrestre rendant quasi inhabitable notre planète (l'on songe au final apocalyptique de son précédent film). L'introduction nous sert sur de somptueuses images un résumé des derniers événements. En l'espace de quelques minutes, on y ingurgite une multitude d'informations concernant la situation désespérée de l'humanité et la raison pour laquelle il reste une poignée d'individus (dont Jack Harper) chargée de constater l'ampleur des dégâts. Cette mise en place est aussi l'occasion de nous apprendre la présence des chacals. Quid de leur nature ? Excellente question qui sera révélée en partie au fil du récit.
Des interrogations, Oblivion ne se prive pas de les distiller au fur et à mesure de la progression de son histoire. L'on sent une véritable densité à travers son intrigue. L'exploration de la Terre comme s'il s'agissait d'un autre monde, un groupe de résistants, la tour, la station spatiale en orbite (sorte de pyramide inversée), l'univers d'Oblivion est riche, parfois envoûtant. Si la narration est maîtrisée et ménage les révélations et autres retournements de situation, certains pans du scénario demeurent obscurs, voire inexpliqués. Certes, laisser une marge d'interprétation au spectateur est toujours bénéfique, mais les aspects les plus importants de l'intrigue auraient gagné à plus de netteté.
On forme une bonne équipe ?
Si l'on ne saisit pas bien le rapport avec les flash-back (60 ans en arrière, donc 2017) de prime abord, l'on est partagé sur la manière dont il a été appréhendé. Oblivion ne serait-il qu'un rêve éveillé dans les stases cryogéniques de ses passagers ? Une faille spatio-temporelle ou, plus plausible, un réveil brutal après six décennies de sommeil ? À ce titre, la mémoire effacée de Jack permet une évolution intéressante du personnage en prenant en considération les sursauts de son inconscient, par la même de ses souvenirs. De fait, son quotidien (déjà hors-norme) devient une quête d'identité. Tout en essayant de faire la lumière sur ce qui l'entoure et son rôle au milieu de ce contexte, il doit également faire face à un conflit existentiel évident.
On regrettera que le groupe de résistants soit finalement peu présent (peu utile ?) au sein de l'histoire. Le réalisateur hésite tantôt à nous offrir une odyssée solitaire comme Je suis une légende (qui sert la démarche de Jack à mieux se connaître), tantôt à dépeindre une fresque post-apocalyptique où les naufragés de la civilisation ont bel et bien survécu. Il en résulte une écriture plus facile pour ce deuxième aspect. Les lignes étant vaguement dégrossies au profit d'une avancée un peu plus prévisible. Il demeure tout de même un suspense bien ménagé, malgré certaines questions qui resteront sans réponse, du moins en partie.
Les baptêmes de l'air sont devenus bon marché.
Au niveau de la mise en scène, pas de grands reproches à faire. Joseph Kosinski manie une caméra avec savoir-faire en alternant les phases d'exploration et d'onirisme. Le parfait exemple de ce contraste est la séquence de la piscine au-dessus des nuages. Les décors de la Louisiane et d'Islande sont somptueux et rivalisent de démesure. Les reliefs escarpés, les gorges, les cascades, les volcans et bien d'autres éléments naturels contribuent à accentuer l'effet de désolation. Qui plus est, les vestiges de la civilisation comme le grand stade ou le musée d'arts modernes, derniers témoins d'un passé révolu, permettent d'augmenter la tension dans un lieu clos, à tout le moins dont le périmètre est défini.
Malgré cela, la photographie froide, ainsi que certains détails, rend parfois le film austère, voire impersonnel. Les influences des incontournables de la science-fiction se font ressentir alors que l'on devine néanmoins une volonté de s'en affranchir. Chose qui n'est pas forcément réussie. On n'échappe donc pas à certains retournements scénaristiques tarabiscotés (surtout le dénouement) qui ne vont pas au bout de ses idées. Autrement dit, le happy-end n'était pas de circonstances. Un final plus pessimiste aurait appuyé l'exposition d'un monde abandonné, même si l'on dénote quelques touches d'espoir.
Monsieur Harper, nous avons une mission pour vous.
Budget confortable oblige, les effets spéciaux sont irréprochables. Tant le design de la tour, de la station spatiale ou des engins volants s'avèrent recherchés et inventifs. Encore une fois, ces éléments s'incrustent parfaitement dans le décor et sont un spectacle pour les yeux. Un dernier point à évoquer : la bande-son. Plus que jamais, l'on songe aux symphonies électriques de Tron - L'héritage. Pour Oblivion, ce n'est pas Daft Punk qui s'y colle, mais le leader d'un groupe d’électro (M83) : Anthony Gonzalez. Les morceaux servent les images comme il se doit. Le tout se révèle envoûtant, tout en parvenant à s'imposer dans la démarche artistique, mais sait rester discret quand il le faut.
Au final, Oblivion est un film de science-fiction tiraillé entre deux côtés. D'une part, l'inspiration du réalisateur (qui adapte son propre roman graphique) est indéniable. D'autre part, le film paraît à certains égards froid, peut-être impersonnel, dans sa progression. Quelques interrogations demeurent également en suspens dans notre esprit. Il reste néanmoins, une histoire intéressante et curieuse servit par un casting de premier ordre (Tom Cruise nous offre une prestation tout en nuance), ainsi qu'une mise en scène sans faille et sans fioriture. Si l'oubli est au c½ur de l'intrigue (d'où le titre), une chose est certaine Oblivion n'y sombrera pas et trouvera son public.
Un film de Joseph Kosinski
Avec : Tom Cruise, Morgan Freeman, Nikolaj Coster-Waldau, Olga Kurylenko