Attiré par l'Asie et plus particulièrement la Chine, le duo français Julien Carbon et Laurent Courtiaud ont tôt fait de quitter la France pour s'adonner à leur passion et offrir leur service sur des productions aux noms prestigieux : Tsui Hark, Johnnie To ou Wong Kar-Wai. Depuis une dizaine d'années, ils ont donc officiés en tant que scénaristes et assistants-réalisateurs. Lorsqu'ils créent leur maison de production en 2007, ce n'était plus qu'une question de temps pour qu'ils réalisent leur propre long-métrage. Deux ans plus tard, ce projet se conclut même s'il ne sort sur les écrans qu'en 2011.
Emballez, c'est pesé.
Et l'histoire de ce thriller aux tendances horrifiques parfaitement assumées a de quoi intriguer. En partant de la légende du bourreau de Jade, le scénario tisse sa toile autour de Carrie, femme séduisante, obsédée par cet élixir qui est censée accroître la sensibilité des terminaisons nerveuses. Ainsi, le plaisir et la douleur procurent des sensations extrêmes. Une véritable extase ou une éternelle torture. En cela, le point de départ se révèle pour le moins original. Néanmoins, l'on se rendra vite compte que l'histoire se penche davantage sur le crâne (qui renferme la précieuse substance), objet de toutes les convoitises, et non sur le poison en lui-même.
Ainsi, la grande majorité du scénario (environ les trois quarts) se transforme en un jeu du chat et de la souris à travers les méandres de Hong Kong pour obtenir l'objet. Le récit tend à se perdre dans un rythme lénifiant. Malgré le cadre et la production hongkongaise, n'oublions pas que les deux réalisateurs sont français. Par conséquent, les travers du cinéma francophone transparaissent dans le présent métrage. L'exposition se veut trop contemplative, pour ne pas dire nombriliste. Un défaut inhérent que l'on retrouve dans bon nombre de nos films « Made in France ». À certains égards, cela permet d'appuyer une symbolique riche à travers les images. Dans la majorité des cas, l'ennui trouble une intrigue finalement assez simple.
Non, les doigts ne sont pas des armes qui tirent des balles à bout portant.
Pourtant, l'esthétique marquée est des plus aguicheuses. La mise en scène multiplie les tours de force en alliant la variété du cadre à des moments plus intimistes. Hong Kong est dépeinte sous différents angles. Les panoramas confèrent à la ville une échelle démesurée, presque suffocante. La plage, les ruelles sombres, les boîtes de nuit, les quartiers malfamés ou le toit d'un immeuble sont autant de points de vue qui traduisent l'évolution permanente de la mégalopole. Les moments les plus intimistes font la part belle à des teintes chaudes et ténébreuses dans des environnements clos et généralement sans fenêtre. Ce n'est pas plus une porte ouverte sur le monde de la nuit que sur l'univers fétichiste.
D'ailleurs, l'introduction avec la jeune Tulip et la scène du lit de suffocation laissait augurer une manière très graphique et novatrice de mettre en avant une sexualité marginale, à tout le moins peu commune. Le bruit de succion du latex, la quasi-immobilité de la future victime et le sentiment de soumission sont bels et bien présents. À mon sens, ce passage est le plus réussi d'un point de vue technique, car il monte en tension progressivement et met en valeur les qualités du film. En soi, c'est une promesse faite au spectateur qui ne sera pas vraiment respectée. Hormis une scène de strangulation expéditive et la séquence de l'écorchement, on reste sur notre faim.
Le principal intérêt du film : une actrice charismatique tout en nuance.
On ressent de multiples références au cinéma de genre, mais jamais l'histoire ne sombre dans le torture porn ou le catégorie 3. Le thriller demeure majoritaire (ce qui n'est pas un défaut), mais dans ce cas, il aurait mieux fallu ne pas laisser escompter un mélange des genres. L'on se sent un peu lésé compte tenu de ce qui avait été amorcé. Même les dialogues ont tendance à s'embourber dans la complaisance avec des lignes pas toujours adéquates ou pertinentes. Là encore, on constate certaines carences maladroites qui, à force de s'accumuler, rendent le métrage acceptable à défaut d'être bon.
Pour ce qui est des acteurs, on salue la prestation de Carrie Ng où son personnage d'une perversion rare complète un charisme d'un naturel déconcertant à l'écran. Elle est véritablement la figure de proue du film. Le résultat est plus mitigé pour Frédérique Bel (la tête d'affiche) qui incarne une femme uniquement motivée par l'appât du gain. On ne parvient pas à s'y attacher et son sort nous laisse presque indifférents (on espère même qu'elle aura droit aux bons soins de Carrie). Les seconds rôles sont assez fades et stéréotypés. Il s'agit de personnages aux caractères à peine élaborer.
Les griffes de Carrie.
Bref, Les nuits rouges du bourreau de Jade disposait d'un certain potentiel pour se démarquer des productions françaises habituelles. Malgré une esthétique somptueuse, la prestation de Carrie Ng et l'introduction, l'on regrette un traitement trop lénifiant et une trame inutilement alambiquée sur fond de trafics d'objets volés. À cela, les séquences dites de torture n'en sont pas vraiment, les réalisateurs préférant la symbolique du fétichisme au détriment d'une dérive violente et meurtrière. Les bonnes intentions et le potentiel de départ ne parviennent pas à faire oublier les trop nombreuses errances qui parsèment l'histoire. Une curiosité à découvrir, mais certainement pas le film qui renouvellera le genre français.