La légende de Viy
S’il est aisé pour le cinéma occidental de revisiter les contes et légendes qui ont bercé notre enfance, l’initiative se révèle plus ardue pour certains pays (ici la Russie, mais on songe aussi à la production asiatique). Le folklore local a la particularité d’offrir un point de vue singulier et souvent personnel d’un lieu avec ses coutumes, ses histoires, ses croyances et surtout sa population. Avec La Légende de Viy, le réalisateur Oleg Stepchenko reprend une nouvelle de Nikolai Gogol qui a, par ailleurs, connu une adaptation en 1967. Une version assez fidèle qui contrastait avec celle de Mario Bava, le Masque du démon. Depuis, un court-métrage d’animation s’était penché sur le sujet en 1996 sans marquer les mémoires.
Il n'y a qu'un pas pour qu'elle prenne racine.
L’intrigue nous plonge dans l’Angleterre du début du XIXe siècle. Bien vite, on quitte les contrées du royaume britannique pour partir sur les routes d’Europe. À l’instar de son personnage principal, on s’égare quelque peu par le manque de repères géographiques. Une forêt reculée à l’atmosphère oppressante, un village perdu et... des créatures fantastiques dont certaines rivalisent de monstruosité. Tout semble indiquer qu’on aura droit à un melting-pot de ce qui se fait de mieux dans le genre. Qu’on apprécie ou pas le cinéma russe,il faut reconnaître un certain sens de l’esthétique pour mettre en avant les panoramas et les situations les plus banales.
La photographie est absolument impeccable et joue constamment avec la pénombre ambiante. Brume, obscurité, maisons boisées qui prodiguent un sentiment de convivialité (éventuellement de sécurité et de chaleur) ... Aidé par des moyens conséquents, le travail fait sur l’environnement vaut le détour. Dans l’ensemble, les effets spéciaux sont convaincants, même si la volonté de proposer un spectacle de tous les instants se perd sur quelques ratés. On songe notamment aux oiseaux en CGI, les racines envahissantes dans l’église. Gros bémol en ce qui concerne la bande qui sombre dans le grandiloquent constamment sans jamais trouver le ton juste pour accompagner les images.
Qu'on le mette aux fers !
En ce sens, la réalisation tend à en faire de trop, quitte à jouer la carte de l’esbroufe, même lorsque ce n’est pas nécessaire. L’aspect blockbuster venu du froid n’arrange pas les choses avec un style clinquant là où il aurait été plus judicieux d’amoindrir le démonstratif pour suggérer et accentuer le climat mystique de l’histoire. Or cette dernière va s’éparpiller aux quatre vents en touchant à des thèmes non dénués d’intérêt, mais mal maîtrisés. Pire, certains passages se complaisent dans des caricatures de bas étage, par exemple la crédulité des populations isolées face à un orateur doué pour véhiculer des croyances et des rumeurs sur des assertions non avérées.
Il est vrai que le fil conducteur reste flou durant une majeure partie du film. Entre les flash-back, les retours en Angleterre pour ne pas oublier la bien-aimée de l’intéressé et les raccourcis narratifs, La Légende de Viy n’est en rien ennuyeux, mais se perd dans un traitement confus. Le côté frénétique du récit n’arrange rien en voulant mélanger les légendes locales, le christianisme et les découvertes scientifiques dans une production coincée dans l’aventure, le fantastique et la fantasy. Pour autant, aucun de ces genres ne domine vraiment l’autre. On remarque même une touche de steampunk avec le carrosse et sa technologie. Malheureusement, il s’agit d’un élément anecdotique qui aurait pu ajouter à la singularité de cet univers.
Il vous garde à l'oeil et le bon...
Une originalité néanmoins mesurée quand on considère les (trop) nombreuses influences du métrage. Il y a du Guillermo Del Toro dans le bestiaire (la scène de l’auberge est frappante). On pioche du côté de Tim Burton pour l’atmosphère gothique, la végétation torturée et un humour macabre. L’analogie pourrait encore être davantage poussée lorsqu’on pense à Sleepy Hollow et son protagoniste. Les contes pas si gentils que cela? Les Frères Grimm sont en ligne de mire! En cherchant la recette magique, La Légende de Viy en oublie de trouver sa propre voix. Le résultat est léché, anticonformiste, mais trop proche des références suscitées pour faire la différence.
Au final, La Légende de Viy se révèle une expérience en demi-teinte. Malgré les sujets qu’il aborde, la photographie somptueuse ou ses personnages hauts en couleur, le film d’Oleg Stepchenko ne convainc qu’à moitié. La faute à une mise en scène aux antipodes de son contexte, un rythme erratique et un florilège de clin d’œil qui prend le pas sur l’identité même du projet. Peut-être que le développement de l’aspect steampunk dans une forêt pétrie par le folklore cosaque aurait changé la donne. Ajoutons à cela un cadre prompt à ravir les amateurs d’ambiance macabre et un ton qui se prête volontiers à l’humour et l’on obtient une production aux défauts évidents, mais plutôt agréable à suivre.
Un film de Oleg Stepchenko
Avec : Agniya Ditkovskite, Aleksey Chadov, Anna Churina, Jason Flemyng