La Forme de l'eau - The Shape of Water
Défiant le pare-feu des apparences jusqu’à celui de l’espèce, l’histoire d’amour presque impossible entre la belle et la bête n’est pas une thématique née d’hier. Du classique de Jean Cocteau au légendaire King Kong du duo Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack, le cinéma de genre regorge de ces amourettes inter-espèces allant du meilleur – telles les œuvres citées juste avant – au tréfonds du pire comme les teenage movies vampiriques dont, par principe, on ne citera pas le nom. Malgré tout, un petit plaisir coupable, à moitié avoué à moitié pardonné.
Pour en revenir à nos moutons, Guillermo Del Toro est un cinéaste que l’on peut considérer comme l’une des – sinon LA – références en termes de fantastique. L’entièreté de sa filmographie vaut le détour, du blockbuster comme Pacific Rim à l'épopée plus noire tel L’Échine du diable, avec un coup de cœur pour Le Labyrinthe de Pan, considéré comme son chef d’œuvre absolu. Dans son dernier long Crimson Peak, Del Toro abordait déjà, avec son lyrisme habituel, le prisme de la romance. En laissant de côté le style gothique et les fantômes, il remet le couvert avec La Forme de l’eau (The Shape of Water en VO), contant l’amour interdit entre une femme de ménage et un homme poisson.
La caractéristique la plus frappante est la facilité avec laquelle le réalisateur mexicain parvient à nous faire accepter cette relation contre nature. Malgré le cahier des charges pourtant difficile à respecter, le film apparaît comme une suite logique des choses au spectateur, et ce, en évitant les incohérences rédhibitoires ou les maladresses scénaristiques. En tant qu’élément central du récit, cette rencontre, à l’origine inconcevable, entre deux univers non miscibles nous prend par la main et nous immerge dans une poésie avivée par une atmosphère « frenchie » tant dans les décors que dans la bande originale, que l’on doit d’ailleurs au français Alexandre Desplat. À aucun moment l’on ne fait un pas en arrière pour relativiser sur le cocasse – pour ne pas dire l’étrangeté – de la situation. Le film ne s’éloignera que très rarement du juste ton et notamment durant un segment musical plein de culot certes, mais trop en décalage pour ne pas dénoter.
Si la réussite de l’œuvre est bien sûr le fruit d’une mise en scène aux petits oignons, elle est tout autant due au casting 5 étoiles. À commencer par Sally Hawkins, la technicienne de surface au physique très éloigné du cliché de la bombe atomique, ce qui aura pour effet de faciliter l’identification au personnage. On cite également Michael Shannon (Take Shelter, Midnight Special) interprétant l’antagoniste principal et, bien sûr, Doug Jones sous les traits de la créature – du lac noir… non ? Autant pour moi – conçue au terme de longues heures de maquillage. Jones est l’un des acteurs fétiches de Del Toro et, de plus, un habitué de ce travail de longue haleine. D’ailleurs, pour boucler la boucle, il était également caché derrière les écailles d’Abe Sapien, un autre homme amphibie, dans la franchise Hellboy réalisée par, vous l’aurez deviné, Guillermo Del Toro. Pour clôturer le casting, on peut glisser quelques mots sur les seconds rôles, tenus par Richard Jenkins (Bone Tomahawk, La Cabane dans les bois) et Octavia Spencer (Snowpiercer, le Transperceneige), dont la bonhommie rend le métrage encore plus attachant.
Un pari risqué, mais finalement une broutille face au talent de Guillermo Del Toro, La Forme de l’eau est une perle qui réconciliera les cinéphiles lassés des productions romantiques à l’eau de rose. Vous aurez certainement remarqué que les précédentes lignes relèvent davantage d’une déclaration d’amour à un cinéma rêveur et sans limites que d’un regard critique objectif. Hakuna Matata ! Pourquoi tarir d’admiration face au travail d’un cinéaste qui explore, expérimente et renouvelle le genre ? La question était rhétorique.
Un film de Guillermo Del Toro
Avec : Sally Hawkins, Michael Shannon, Michael Stuhlbarg, Doug Jones