Free Guy
Un blockbuster qui s’amuse des genres et des idées reçues pour interpeller le spectateur sur le principe d’existentialisme à travers la malléabilité de la réalité. En l’occurrence, la nôtre. Il en ressort un scénario intelligent, soutenu par une ambiance singulière et un enthousiasme communicatif. Cela sans compter sur une légère note d’émotion et un esprit d’à-propos de circonstances quant aux dérives sociétales et sociales. Subtil, lucide et divertissant à plus d’un titre.
En règle générale, le jeu vidéo et le cinéma font rarement bon ménage lorsqu’on évoque leurs adaptations réciproques. Cependant, le propos est plus nuancé quand on se penche sur la thématique vidéoludique de manière indépendante. S’il est vrai que l’on a tendance à étendre le sujet au monde virtuel, des occurrences telles que Tron, Existenz ou le nerveux Ultimate Game sont à saluer. Après s’être concentré sur la réalisation de certains épisodes de la série Stranger Things, Shawn Levy revient au grand écran avec un projet saugrenu, non moins interpellant quant à son concept : Free Guy. Ou comment un personnage de jeu vidéo prend conscience de sa nature pour mieux s’en affranchir…
De prime abord, Free Guy présente tous les atours du blockbuster estival, prétexte à réunir la famille autour d’un même film. Cela tient autant au casting qu’à une mise en scène léchée qui flatte la rétine. À l’image de la production d’un jeu vidéo, le level design de Free City se révèle inspiré. La ville n’est pas sans rappeler son pendant réel (New York) ou virtuel. À savoir, Liberty City de la franchise GTA. Le côté délirant en sus qui, soit dit en passant, évoque la touche de folie qui sied à Saints Row. Braquages de banque à répétition, vols à l’arrachée, explosions spectaculaires… Même les actes terroristes se déroulent en pleine rue dans une indifférence totale !
De la présence dissimulée d’items aux indications d’écran invisibles, tout est pensé pour amalgamer les codes du jeu vidéo dans un environnement réel. Les évolutions graphiques des dernières années rendent le tout d’autant plus probant, accentuant ainsi le caractère photoréaliste du procédé au sein de la fiction. L’effervescence urbaine, la constance des mouvements, de la circulation, concourent à instaurer une ambiance à part entière ; plus vivante que la réalité elle-même. À certains égards, on songe à une approche similaire au film d’animation La Grande aventure Lego. L’ensemble traduit une richesse visuelle indéniable, tandis que l’originalité soutient un propos sous-jacent d’une grande pertinence.
Car, au-delà de ses atours de comédie d’action teintée de fantastique et de SF, Free Guy interpelle le spectateur sur la notion de réalité. Cela peut paraître évident dans un tel contexte et pourtant l’intrigue ne se contente pas d’une simple évocation. Elle approfondit la réflexion jusqu’à se pencher sur le concept de conscience et de vie. Au même titre qu’une époque majoritairement orientée vers les évolutions technologiques, la frontière n’est plus vraiment discernable. On songe à ses avatars de joueurs « réels » ou la facilité déconcertante de passer d’un monde à l’autre. Par extension, ces considérations s’attaquent au fondement même du système.
Cela tient au refus du conformisme, et ce, malgré la perte des illusions que cela engendre. Le choix d’affubler le protagoniste d’un boulot aussi répétitif que stérile accentue cet état de fait, notamment dans la monotonie de son quotidien. La condition des PNJ (personnages non jouables) renvoie à notre propre statut social, enclavé dans des carcans moraux et professionnels d’une stérilité alarmante. L’histoire suit un cheminement intelligent qui s’équilibre entre une action effrénée et des enjeux qui se densifient au fil de révélations et d’évènements perturbateurs. Preuve en est avec une parfaite transition entre une première partie axée sur la découverte et une seconde moitié tournée vers le refus de la fatalité.
Au final, Free Guy s’avance comme une véritable surprise. Mélange des genres par excellence, le film de Shawn Levy assimile parfaitement le principe de divertissement à un discours lucide et plein de subtilité quant à la notion de réalité et au devenir de l’individu. Cette prise de conscience se manifeste à plusieurs niveaux et offre une appréciation différente selon le profil du spectateur. Si l’on peut regretter quelques scories propres aux clichés des joueurs véhiculés par eux-mêmes, on se trouve en présence d’une histoire à la fois drôle et touchante. Tout comme les propos qu’il avance, il parvient à s’affranchir des carcans cinématographiques généralement associés aux productions hollywoodiennes. Une réussite.
Un film de Shawn Levy
Avec : Jodie Comer, Ryan Reynolds, Taika Waititi, Channing Tatum