Détective Dee : Le Mystère de la flamme fantôme
Le Wu-xia ou Wu xia pian (littéralement chevalier errant) est un genre qui a pris son essor en Chine. Particulièrement chéri dans son pays natal, le Wu-xia est similaire aux films de cape et d’épée occidentaux à ceci près qu'il possède une dimension plus audacieuse, plus onirique que son homologue. Alors que la Shaw Brothers a produit les plus grands métrages de Wu-xia au cours des années 1960-1970 (L'hirondelle d'or...), sa popularité n'a cessé d'être entretenue par des cinéastes passionnés qui sont parvenus non sans difficulté à nous offrir quelques perles asiatiques. Tsui Hark, initiateur de la saga Il était une fois en Chine, revient donc à ses fondamentaux avec Detective Dee, un blockbuster qui nous emmène au temps de la dynastie Tang en 690.
VIIe siècle - L'Empire chinois connaît son apogée sous le règne de l'impératrice Wu de la dynastie des Tang. C'est alors que des morts mystérieuses frappent les hauts dignitaires pendant la construction d'un Bouddha géant. Incapable de résoudre l'affaire, l'impératrice décide de faire appel au juge Dee, talentueux magistrat, mais également ardent opposant au régime.
L'intérieur du grand Bouddha est aussi impressionnant que l'extérieur.
Mais si le Wu-xia est dominant, cantonner Detective Dee à un seul genre serait arbitraire et occulterait le foisonnement d'influence qui transparaît dans chaque scène. Tour à tour film d'action, fantastique, drame, historique, aventure, thriller, polar et même fantasy où les envolées lyriques côtoient parfois la légèreté de certaines séquences où l'humour point le bout de son nez. Un constat d'autant plus surprenant qu'il n'y a pas contradiction. On les voit davantage comme une complémentarité qui ajoute à une culture fascinante, la richesse et la pluralité de diverses influences cinématographiques. De fait, on jongle avec les genres sans pour autant être déstabilisé ou choqué par telles ou telles tournures de situations. Il paraît donc bien difficile de le classer et, plus encore, de se lasser de ce voyage dans le temps.
Avant d'être le héros d’une superproduction, le juge Dee est avant tout une figure historique qui a connu moult déclinaisons littéraires de ses aventures sous la plume de Robert Van Gulik, puis de Frédéric Lenormand, sans compter un recueil de nouvelles de Zhu Xiaodi. En d’'autres termes, un personnage qui a réellement existé dont on a romancé la carrière et la vie à travers une série impressionnante d'ouvrages (les enquêtes du juge Ti). Néanmoins, il est bon de rappeler que le film de Tsui Hark n'est pas une adaptation de ses livres, mais la continuité de ceux-ci. En effet, la présente histoire débute là où la saga de Van Gulik (pas moins de 16 romans où on le voit passé de petit juge de province jusqu'à sa nomination de conseiller impérial) se terminait.
Bienvenue au marché fantôme.
Une victoire d'autant plus savoureuse pour les producteurs qui désiraient porter à l'écran le juge Ti depuis plusieurs années. Et ce n'est pas le film de Jeremy Kagan (dont la version française est devenue un objet de collection et sans doute de convoitise) et la série oubliée des années 1960 qui auraient pu contenter les inconditionnels de notre héros. Le juge Ti méritait un projet d'envergure au septième art : c'est maintenant chose faite, et ce, de la plus difficile des manières. En effet, il aura fallu pas moins d'une décennie pour écrire le scénario, 130 millions de dollars hongkongais (soit environ 13 millions d'’euros), la participation de 6 000 figurants et deux ans de tournage pour boucler cette production à l'ampleur pharaonique.
Les chiffres parlent d'eux-mêmes quant aux moyens engrangés, mais qu'en est-il du résultat ? Le jeu en vaut-il la chandelle ? Vraisemblablement, oui. Certes, tout n'est pas parfait, mais la reconstitution de cette époque est tellement surprenante que l'immersion est quasi-immédiate. L'équipe a accordé un soin tout particulier aux décors. À ce titre, deux choix prédominent : reconstruire intérieurs et extérieurs lorsque l'entreprise est possible ; opter pour l'utilisation d'effets spéciaux pour les panoramas, les plans larges et les monuments les plus impressionnants à contempler. La plupart du temps, cette succession de trucages numériques avec des éléments authentiques se fait sans dommage. La photographie est soignée, le cadrage adéquat, bref les images de synthèse pourraient faire illusion si quelques détails ne venaient pas entacher ce bon à-priori. Malheureusement, certains paysages sur fonds verts manquent de vie. Il s'en dégage une impression artificielle. Notamment le port de Chang'an (la ville actuelle de Xi'an) où l'on voit les bateaux naviguer sans matelots à bord pour tenir la barre ou hisser les voiles. Tout comme les plans aériens où l'on aperçoit la capitale en pleine effervescence. De loin, les toits, les tours et autres monuments se déclinent à l'horizon, mais il faut se rapprocher pour remarquer des silhouettes qui confèrent à la ville cet aspect de mégalopole orientale. Il s'agit du même problème que sur Pirates de Langkasuka : des ambitions, mais une animation sommaire qui vient gâcher partiellement un travail acharné.
Le palais impérial en alignement parfait avec le grand Bouddha.
Ceci étant dit, le cadre est inspiré, démesuré et surtout variés pour nous proposer un univers basé sur la réalité et l'imaginaire ou lorsque l'histoire rencontre la fantasy, Detective Dee nous en donne un fort bel aperçu. Le palais impérial, les quartiers de Chang'an, le marché fantôme (sans doute le plus réussi) avec ses souterrains qui s'apparentent à des égouts et le monastère sacré sont autant d'endroits plaisants à découvrir. Quant au grand Bouddha, il s'agit d'un monument, mais sa conception aura demandé pas moins de 10 mois de travail sur le papier avant de le porter à l'écran et est à ce titre, un lieu à part entière où une partie de l'action se déroule. Les contrastes sont évidents et contribuent à dessiner un univers généreux et riche.
En ce qui concerne le scénario, les ramifications sont multiples. Si le fil rouge réside dans l'enquête de la flamme fantôme, il n'en demeure pas moins des enjeux secondaires insoupçonnés où, là encore, l'histoire joue avec le surnaturel pour brouiller les cartes. Cerf qui parle, combustion humaine spontanée, transfiguration, prêtre fantôme tout semble sortie d'une imagination débridée et pourtant (presque) tout trouvera une explication rationnelle en temps voulu. Une méthode similaire à nos thrillers occidentaux qui parfois débutent sur des évènements en apparence extraordinaires, voire impossibles avant de conclure par un dénouement très cartésien. L’'approche est identique est montre que Detective Dee possède plus d'une corde à son arc.
Une coiffure pour le moins extravagante.
Wu-xia oblige, cette chronique serait incomplète sans parler des combats qui jonchent l'histoire avec justesse ; ni trop, ni trop peu. Le chorégraphe n'’est autre que Sammo Hung. Esquives, combinaisons des styles, voltiges, blocages et contre-attaques laisseront la part belle à des joutes millimétrées. Il fait montre d'un savoir-faire peu commun tant sur les affrontements armés ou à mains nues dans des lieux restreints ou vastes. Cette pluralité se trouve également dans les mouvements martiaux. Certes, les personnages semblent parfois flotter dans les airs (emploi de fils), mais se justifie par l'utilisation de l'environnement pour atténuer cet effet d'apesanteur. On est donc loin des envolées lyriques de Tigre et dragon, mais nous ne sommes pas non plus dans un réalisme rigoriste similaire à Ip Man ou Fighter in the wind.
Quant aux acteurs, nous sommes en présence d’'un casting cinq étoiles. Impliqués et compétents, leurs talents se conjuguent pour donner le meilleur d’eux-mêmes. Les protagonistes sont également intéressants, polyvalents, mais surtout ambigus dans leurs motivations. Pourquoi le juge Dee aide-t-il l'impératrice alors qu'il est un fervent opposant ? Quels sont les sentiments de cette dernière à son égard ? Ceci n'est qu'un exemple parmi tant d'autres et les personnages secondaires tels que Shangguan, Shatuo ou Pei ne sont pas en restes et réservent leurs lots de surprises. À noter que leurs armes respectives sont censées refléter un trait de caractère dominant. Dragon docile (un étrange bâton) pour Dee, le fouet pour Shangguan, les haches à double tranchant pour Pei.
Le rebelle de la forêt.
En dépit de quelques défauts sur la forme (les plans sur fonds vert), Detective Dee se révèle une réussite tant au niveau de la mise en scène, des combats et du scénario. Les fans de Wu-xia apprécieront certainement, mais Detective Dee s'adresse également aux novices et à un large public. La violence y est mesurée (pas de gerbes de sang par exemple) pour faire découvrir un genre chéri en Asie, mais peu démocratisé en Occident (hormis les références citées précédemment). Il en découle un film aux facettes multiples où chacun trouvera son compte. Le melting-pot des genres fonctionne grâce à une histoire prenante, originale et rondement menée. Qu'il s'agisse des dialogues, des scènes d'action ou de réflexions, chaque scène a fait l'objet d'une attention toute particulière.
Un film de Tsui Hark
Avec : Andy Lau, Carina Lau, Bingbing Li, Chao Deng