Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg - Compte-rendu 2013

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Le Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg prend chaque année plus d’ampleur et s'impose peu à peu comme l’une des plaques tournantes du cinéma fantastique français. Le jury était cette année présidé par Lucky McKee, responsable des remarquables May et The Woman. Voici un compte-rendu des films découverts par nos soins à l’occasion de la sixième édition du festival strasbourgeois.

Si le festival nous a permis de découvrir quelques films passionnants, les œuvres présentées en ouverture et en clôture ont été loin de satisfaire nos attentes.

Commençons par le film de clôture du festival, Machete kills, du tristement célèbre Robert Rodriguez, très loin de nous avoir convaincu. Reprenant la même formule que le premier Machete, mais poussant le bouchon encore plus loin dans la caricature et la mise en scène approximative, Machete kills n’est qu’une suite boursouflée et totalement navrante du premier opus. Si, pour définir la personnalité mutique et violente du personnage principal, Rodriguez lui faisait sentencieusement affirmer « Machete don’t text » dans le premier film, indiquant de cette manière son anachronisme dans le monde contemporain, refusant d’utiliser le langage sms pour communiquer, Rodriguez lui fait désormais dire « Machete don’t tweet », ne faisant que décliner les mêmes vannes que dans le premier long-métrage. Rodriguez va même jusqu’à citer ses propres films, notamment Planète Terreur, affublant ses personnages féminins des mêmes accessoires guerriers. Et si, en lieu et place de Steven Seagal, le bad guy est désormais incarné par Mel Gibson, toutes les guest stars présentes dans le long-métrage (Antonio Banderas, Lady Gaga, Cuba Gooding Jr, Charlie Sheen, pour n’en citer qu’une partie), semblent si peu impliquées qu’on a plus le sentiment qu’elles se sont déplacées pour toucher leur chèque que pour participer au tournage d’un film ; pour preuve, chacun des stars ne joue que cinq pauvres minutes dans le film, Rodriguez ne leur offrant jamais de rôle digne d’intérêt. Au final, le cinéma de Rodriguez est toujours le même : une idée initiale a priori sympathique (construire un personnage iconique en utilisant la gueule antipathique de Danny Trejo) mais complètement desservie par une fabrication à la limite de l’indigence. Ce n’est certainement pas avec ce film que Rodriguez réussira à démontrer ses talents de réalisateur, c’est le moins que l’on puisse dire.

Le film d’ouverture, We are what we are, réalisé par le cinéaste américain Jim Mickle, n’a quant à lui pas franchement lancé le festival de la meilleure des manières. Remake du film mexicain Somos lo que hay, que nous avions déjà chroniqué à l’occasion du festival de Gérardmer il y a deux ans, We are what we are reprend la thématique du film originel pour l’adapter à l’environnement de la campagne américaine. Alors que l’œuvre mexicaine utilisait le cannibalisme afin de mettre en place une réflexion sociale sur la détresse urbaine dans la ville de Mexico, le remake américain sombre dans la critique lourdingue de la structure familiale gangrenée par la religion et l’omniprésence du père de famille. Ce dernier, à la suite de la disparition de sa femme, contraint sa fille aînée à poursuivre l’œuvre de la mère, dont le rôle était de chasser pour ramener de la chair fraîche à la maison. Si le film mexicain trouvait sa source dans une misère sociale assez justement montrée, le remake américain se contente d’empiler poncifs sur poncifs à propos du poids de la religion au sein de la celle familiale. Par ailleurs, les flashbacks, supposés revenir sur l’origine chrétienne du penchant familial pour le cannibalisme, n’arrangent rien à l’affaire et alourdissent davantage encore le traitement du thème principal, surlignant la pesanteur de ce destin familial tragique. Bref, Jim Mickle reproduit en quelque sorte les mêmes erreurs que dans son avant-dernier long-métrage, Stake Land, présenté à Strasbourg il y a deux ans, récit post-apocalyptique trop emphatique pour permettre au spectateur de s’immerger totalement dans le récit proposé.

 

Hors compétition était présenté l’un des films les plus originaux du festival, Nos héros sont morts ce soir. évocation étonnante du catch dans la France des années 60, entièrement tournée en noir et blanc, la première œuvre du jeune réalisateur français David Perrault était certainement l’une des plus belles découvertes cette année. Bénéficiant d’un beau casting (notamment Denis Ménochet, Philippe Nahon et Jean-Pierre Martins), servi par des dialogues savoureux, Nos héros sont morts ce soir est en quelque sorte un hommage nostalgique et raffiné à un certain cinéma de « gueules » à la française ; on ne peut s’empêcher de penser à certaines œuvres telles qu’Un singe en hiver d’Henri Verneuil. Simon, catcheur, connu sous le nom du « Spectre » sur le ring, propose à son ami Victor, ancien légionnaire, de le rejoindre et de jouer son adversaire, « l’Equarrisseur de Belleville ». Victor, encore marqué par la guerre, ne supporte pas de jouer le méchant lors des combats et va contraindre à Simon à échanger leurs rôles. L’un de leurs combats tourne mal, les masques tombent, et les parieurs perdent beaucoup d’argent. Les problèmes se succèdent rapidement. A mi-chemin entre le film noir, le film fantastique, voire la chronique social d’une France de l’ancien temps, le long-métrage prouve qu’il peut exister des voies de traverse passionnantes dans le cadre de la production cinématographique française d’aujourd’hui. Si certaines séquences intimistes brisent parfois le rythme du récit, et si le traumatisme de Victor est parfois trop surligné, la très belle facture de l’ensemble ainsi que la réflexion sur l’acteur qui conclut le récit ont largement suffit à nous combler.

Proxy, de Zack Parker, était également présenté hors compétition. Plongée froide et choquante dans la psyché d’une jeune femme endeuillée par la perte de l’enfant qu’elle portait – elle est agressée par un inconnu en pleine rue deux semaines avant l'accouchement – le dernier film de Zack Parker est une œuvre ambigüe dotée d’une atmosphère glaciale par instant rebutante. Suivant une construction narrative assez proche de celle de son avant-dernier film, Scalene, présenté l'an dernier à Strasbourg, Proxy épouse tour à tour le point de vue de l’un des protagonistes principaux – la jeune femme en deuil, son amante agressive, et enfin une mère de famille qu’elle rencontre à l’occasion d’un groupe d’entraide. Sans proposer quelque jugement que ce soit, laissant au spectateur le soin de comprendre les raisons qui sous-tendent (ou non) les actions entreprises par les personnages, le film de Parker est complexe. Passionnant par la multiplicité des clés de lecture qu’il propose, Proxy, en raison de la froideur de son architecture et des personnages qui la composent, risque de ne jamais permettre au spectateur de vibrer, émotionnellement, au rythme des états psychologiques de ses protagonistes. La construction formelle du film prend en quelque sorte le pas sur l'immixtion du spectateur dans le récit. C’est d’autant plus dommage que le film est visuellement assez bluffant.

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