La pluie du diable
Bien souvent, les productions sur le satanisme sont l’expression de fantasmes issus de l’imaginaire collectif. Des histoires telles que L’exorciste joue de surréalisme pour dépeindre le mal de manière explicite. On ne reviendra pas sur le statut de chef-d’œuvre mérité et incontournable de l’adaptation de William Friedkin. Tout aussi culte, Rosemary’s Baby se montrait plus timoré et non moins percutant dans son approche. Les agissements d’une secte sataniste préparant l’avènement de l’antéchrist demeurent encore une référence. Bien moins connu que ses homologues, La pluie du diable opte pour un développement totalement différent, privilégiant la carte du réalisme.
Un petit don pour sauver l'église de Satan ?
La raison de cette volonté ? La présence d’Anton LaVey, fondateur de l’église satanique, en tant que consultant. Personnage haut en couleur qui aimait entretenir la polémique sous couvert d’anticonformisme, l’homme apporte ses conseils à l’équipe du film. En cela, il est vrai que l’approche graphique n’est guère avare en symboles. La scénographie est parfaitement respectée tout en s’attachant à fournir un cadre isolé autrement plus inquiétant. Le choix du désert pour son cadre désolé et son rapport au feu, à la chaleur, n’est guère étranger à une certaine recherche visuelle. Tout naturellement, on remarquera une prédominance des teintes mordorées et écarlates.
Le royaume de la nuit et les symboles inversés au regard du christianisme occupent, eux aussi, une importance non négligeable au cœur du film. En cela, La pluie du diable distille un climat anxiogène parfaitement représentatif de la philosophie satanique. On pourrait même y déceler une subtile allusion à l’aveuglement des masses avec des croyants dont la vue leur a été ôtée par énucléation. Mais en dehors de cette présentation, un rien ostentatoire, il persiste de très grosses lacunes tant sur la narration, sur l’interprétation que sur le rythme ou les discours complaisants. Dès lors, certaines contradictions sont flagrantes, surtout pour les spectateurs ayant parcouru la bible satanique d’Anton LaVey.
Même en Satan, la foi rend aveugle...
L’histoire multiplie les prétextes afin d’entraîner ses protagonistes dans une spirale infernale, littéralement. On évoque un livre, la disparition de proches, la couardise des locaux et même une vieille malédiction familiale que ne renieraient pas certaines productions gothiques de la Hammer. Les propos avancés soutiennent que le satanisme puise ses racines dans un folklore bien plus ancien que le christianisme ou toute autre religion. Premier point divergent, la considération du satanisme en tant que croyance et non en tant que philosophie. De l’aveu même de son fondateur, l’église de Satan se repose sur le côté faillible de l’homme et son libre-arbitre.
En aucun cas, il n’est question d’une approche toute maléfique. D’ailleurs, Anton LaVey conceptualisait Satan comme une idée abstraite et non comme une entité ou une déité. De son point de vue, il fallait considérer Satan, comme un chemin de vie empruntant des valeurs similaires à celles d’Aleister Crowley. Autrement dit, « Fais ce qu’il te plaît ». Bref, cela peut paraître contradictoire, voire risible à certains égards. Toujours est-il que l’ensemble demeure terriblement bavard, un peu comme ce film qui tourne en rond en se contemplant le nombril. L’intérêt s’étiole au fur et à mesure que l’intrigue sombre dans la facilité et le grand-guignolesque.
Le satanisme rend chèvre !
Au-delà de trucages surannés, c’est véritablement l’interprétation d’acteurs empêtrés dans des situations convenues et peu crédibles qui entraîne l’ambiance dans un délire pas forcément assumé. En cause ? Le cabotinage d’Ernest Borgnine et sa ridicule transformation en homme-bouc, les réactions des différents intervenants, sans oublier un dénouement aussi improbable que long. On pourrait également ajouter cette fâcheuse propension à occulter certains pans narratifs évoqués au profit d’une mise en scène trop démonstrative et pittoresque. Cela vaut autant pour la réalisation du film que pour le déroulement des rituels sataniques.
Malgré une entame convaincante faisant la part belle à une atmosphère travaillée et glauque, La pluie du diable se révèle finalement une production en demi-teinte, beaucoup trop conciliante sur le satanisme. Ressassant plus de clichés que de vérités, le film de Robert Fuest se conforme à l’image d’Anton LaVey et de son incomparable propension à sombrer dans la scénographie de mauvais goût. Verbeux, contradictoire et confus, il en résulte un métrage inabouti où le réalisme initial cède la place à des choix artistiques douteux. Entre certaines situations risibles et d’autres poussives, on ne retiendra qu’une symbolique exhaustive, mais guère influente sur le reste de l’histoire.
Un film de Robert Fuest
Avec : Ernest Borgnine, Eddie Albert, Ida Lupino, William Shatner